Guernesey, 30 mars 1868, lundi matin, 7 h. ¼
Je te donne le bonjour attardé d’une vieille paresseuse que je suis, mon grand bien-aimé, avec le désir ardent que tu aies de ton côté passé une aussi bonne nuit que la mienne. Il me semble que le temps est à souhait ce matin pour l’opération de ce bon Garnier car il fait du soleil et peu de vent, deux bonnes conditions pour la photographie en plein air. Nous, pendant ce temps-là, Mme Chenay et moi, nous collationnerons à MORT. Le mot peut se dire puisque le fait y sera dans toute son horreur. Jusqu’à présent je ne vois qu’Homo et Ursus [1] d’heureux. Il est vrai qu’ils se contentent de peu et ils font bien car tu n’es pas un large distributeur de bonheur jusqu’à présent pour tous ces pauvres êtres-là. J’espère que tu finiras par t‘humaniser un peu envers ce pauvre petit diable anonyme dont le malheur fait le tourment de ma vie depuis que je le connais. J’attends avec impatience que tu l’en délivres pour respirer à pleins poumons, ce qui ne m’empêche pas de t’aimer et de t’adorer de tout mon cœur et de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 91
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette