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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 21 décembre 1852, mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour des yeux, de la bouche, de l’âme et du cœur, bonjour. Comment va ta tête ce matin ? Je suppose que tu as bien dormi car tu n’auras pas eu comme moi sans doute un chien stupidement enchaîné toute la nuit, lequel n’a fait que crier et agiter sa chaîne autour de sa baraque et sur ses tessons. C’était pour en devenir soi-même enragé. Quant à reposer le matin, il n’y faut pas songer en aucune saison à cause des enfants braillards de la propriétaire qui commencent leur sabbat bien auparavant le jour. Toutes ces choses qui ont un certain bon côté en plein jour ne sont rien moins qu’amusantes au milieu de la nuit et par la plus effroyable migraine. Ajoutea à cela le rat de la stupide Suzanne qui fait des siennes ce matin au risque de me faire perdre patience et de la flanquer à la porte et tu comprendras dans quelleb disposition de corps et d’esprit je me trouve ce matin. Oui, certes, ce n’est pas la première fois que je le dis, j’aimerais mieux l’ennui abrutissant de la solitude absolue et la privation de certains soins auxquelsc je suis habituée que de souffrir certaines grossièretés empreintes de méchanceté et du désir de nuired et de tourmenter pour satisfaire de basses et ignobles petites passions. Tant que cette grossièreté et cette méchanceté sont à l’état latent je ne m’en occupe pas, mais quand elles se montrent cyniquement, comme tout à l’heure, je sens se révolter en moi tout ce que j’ai de plus digne, de plus honnête et de plus délicat et j’aimerais mieux tous les inconvénients de l’isolement complet que n’importe quel service à ce prix-là. PARDON, MON BIEN-AIMÉ, DE T’ENTRETENIR DE MES ENNUIS DE DOMESTIQUE MAIS TU ES MON CONFIDENT, MON CONSEILLER, MON AMOUR ET MON TOUT.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 293-294
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « ajoutes ».
b) « quel ».
c) « auquels ».
d) « nuir ».


Jersey, 21 décembre 1852, mardi midi

J’espère que tu auras des lettres aujourd’hui, c’est-à-dire UNE lettre, la seule qui puisse t’intéresser avant toutes les autres [1]. C’est un espoir que j’ai, peut-être à cause du désir impatient qui me remplit le cœur pour toi. Pauvre adoré bien-aimé, je donnerais des années de ma vie pour que tu fusses fixé dès aujourd’hui et rassuré sur la position vraie de ton cher petit Toto [2]. Je voudrais déjà que la poste fût arrivée et que tu sois content. En attendant, mon cher petit homme, je t’aime avec tout mon cœur et pour te le prouver je vais faire du journal. Du reste vous vous êtes trompé quand vous avez cru m’apporter du papier blanc hier. J’en suis toujours à mes deux feuilles, déjà fort entamées. Ainsi vous voyez que le reste ne me fournira pas une longue course d’élucubrations. Quant à moi, je ne me plains pas de la chose, bien au contraire, ce que j’en dis est par excès de conscience. Maintenant c’est à vous d’aviser, cela ne me regarde plus. Je fais force de voile et de lecture pour achever le père Goriot, dont vous êtes l’image, avant ce soir afin de faire cesser l’impatience et la rage de Charles. Cela ne m’empêche pas de vous aimer et de vous désirer à toute bride et de vous attendre à tout crin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 295-296
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Lettre de son épouse Adèle depuis Paris.

[2François-Victor Hugo.

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