Bruxelles, 2 avril 1852, vendredi après-midi, 4 h. ½
Toujours le même système d’adresse [1], ce qui réussit très bien avec les maladroits. Suzanne n’a pas pu ni su trouver M. Bouquié rue du Midi no 2. Tiens te voilà, mon amour, quel bonheur !!!
3 avril 1852, samedi matin, 8 h.
Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour. Je pousse la conscience jusqu’à continuer ce gribouillis qui n’a ni queue ni tête pour économiser une demi feuille de papier et surtout parce que je suis sûre que je ne serai pas plus drôle dans un moment que dans l’autre. Comment vas-tu mon bon petit homme ? As-tu mieux dormi cette nuit que les précédentes et ta douleur de cœur est-elle calmée ? Je suis revenue hier après t’avoir conduit auprès de M. Yvan pour lui recommander de t’apporter sa drogue homéopathique, celle que j’ai chez moi ne pouvant pas te servir : NUX MOS [2]. Il m’a bien promis d’y penser mais il est si oublieux et si négligent que j’ai grand peur qu’il n’en fasse rien. Voilà plus de trois semaines qu’il promet de me donner une lotion pour ma figure et je l’attends encore. Il est vrai que ça n’a pas d’importance et puis je ne mettrai pas autant de réserve et de discrétion et de patience pour toi que j’en ai mise pour moi. Je ne veux pas que tu souffres, mon pauvre bien-aimé, c’est trop injuste. Pour cela il ne faut pas de ton côté faire des excès de travail et des imprudences absurdes. Il faut te rationner et prendre le temps tous les jours de sortir, de marcher à l’air pur et au bon soleil. Si tu ne le fais pas je m’obstinerai de mon côté à rester chez moi nuit et jour jusqu’à ce que je crève dans ma peau de Juju. Ce qui, à tout prendre, ne sera pas une grande perte.
BnF, Mss, NAF 16370, f. 273-274
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette