16 janvier 1852

Bruxelles, 16 janvier 1852, vendredi après-midi, 2 h. ½

J’avais déjà beaucoup trop de notre séparation ce soir, mon pauvre bien-aimé, sans y ajouter d’autres déceptions et d’autres ennuis comme ceux de la douane et de son auguste famille le fisc et la confiscation. Après avoir payé 2 F. 4 s. dans un premier bureau en échange de deux chiffons de papier on me demande dans le second bureau 20 F. pour me rendre mes couverts. Tu penses quel cri j’ai poussé malgré la majesté du lieu et la figure grotesque du susdit gabelou [1]. J’ai dit que c’était une véritable spoliation, une confiscation. J’allais même dire le vrai mot un VOL lorsque ce rat flamand s’est empressé de me dire que j’avais le droit de pétitionner sur une feuille de 25 [illis.] adressée au directeur de la douane lequel sur un certificat du commissaire de mon quartier constatant que je séjourne à Bruxelles et que je compte y résider indéfiniment m’accorderait probablement la permission de manger ma soupe avec mes propres couverts. Tout cela n’est pas seulement long mais ennuyeux et difficile à cause de Suzanne mêlée à toutes ces maladresses. C’est en son nom que les couverts ont été saisis et c’est encore en son nom qu’il faudra demander la franchise d’entrée. Il faudra que M. Luthereau aille nous déclarer toutes les deux, ce qui ne paraît pas l’amuser beaucoup attendu que je crois que déjà il serait passible d’une amende pour avoir laissé passer le délai accordé pour ces sortes de déclaration. Mais on peut à la rigueur ne pas donner la date exacte. Mais à quoi bon te dire tout cela puisque je te le rabâcherai tantôt quand tu viendras. J’ai la mauvaise habitude de te raconter toutes mes infortunes sur le papier comme si ce n’était déjà pas beaucoup trop de te le dire de bouche. Décidément je suis une stupide Juju et tu fais bien de me quitter surtout maintenant que tu as le meuble essentiel un CANAPÉ, un SOPHA^a, un DIVAN, une CAUSEUSE, un TÊTE-A-TÊTE, un LIT DE REPOS etc., etc. Que de Julie et de Constance vous pourrez héberger, fourrager et foufouner avec un pareil mobilier. Rien que d’y penser les GRIFFES m’en poussent aux doigts.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 21-22
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « sopha ».