19 décembre [1841], dimanche matin, 11 h. ¾
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Vous n’êtes pas revenu et vous avez emporté la fameuse camisole de laine neuve, vilain sournois. Voilà encore ce penaillon emporté dans votre clocher d’où il ne revient jamais rien [1]. Si je vous avais vu, je vous aurais joliment fait mettre paletot et culotte bas. Vous allez endosser l’affreux vieux casaquin, C’EST ASSEZ bon pour moi, n’est-il pas vrai. Viens-y, pôlisson, tu verras comme je te recevrai. Et votre paletot rouge, et votre malle, et votre tapis, vous ne voulez donc plus de tout ça ? C’est d’autant plus spirituel que ça s’abîme sans aucun profit pour personne, mais je suis bien bonne encore de prendre vos intérêts. C’est une trique que je devrais prendre bien plutôt et vous en frictionner les épaules, ça serait bien plus de saison. Taisez-vous.
Je n’ai plus que 11 jours et demi pour ce que vous savez. Je ne vous demande pas la même faveur que celle que vous avez faite à M. Roger de Beauvoir, je ne suis pas si exigeante [2]. Je me contenterai très bien d’une bonne petite prose que je connais et que je lis avec les lèvres et le cœur plus encore qu’avec les yeux et l’esprit Ce jour-là, je serai bien heureuse, mais est-ce que je ne le serai pas encore un petit brin d’ici là ? C’est que 11 jours et demi de rien du tout, c’est bien CHESSE [3]. D’ailleurs, je ne le supporterais pas sans vous dévorer. Pensez à cela, mon Toto, et ne vous exposeza pas à MA FRINGALE. Baisez-moi, pensez à moi et aimez-moi, j’en fais autant et plus de mon côté.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 225-226
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « exposer ».
19 décembre [1841], dimanche soir, 4 h. ¼
Vous ne voulez donc pas venir ni fête, ni dimanche, ni jour OUVRABLE, vieux Chinois [4], hein ? Vous trouvez ça drôle, n’est-ce pas ? Voime, voime, mais moi je ficherai mon camp un de ces jours et puis COURSa APRÈS. Ah ! mais c’est que je le ferai comme je le dis. Je n’ai pas besoin, moi, de me morfondre à vous attendre à l’ŒIL jour et nuit, faites-y attention d’abord [5].
On a apporté votre vernis mais comme j’étais encore dans mon lit, le Dabat y a joint une note explicative détaillée. Mais en GROS cela coûte avec le pinceau 4 F. 15 sous, ce qui est assez dur de café comme vous voyez et ce qui m’a forcée de prendre de l’argent à Suzanne. Heureusement que Lafabrègue et Mme Guérard n’ont pas envoyé aujourd’hui. Je suis donc sans le sou et j’ai de plus une onglée soignée aux pieds et aux mains, c’est à grand peine que je griffonne ces espèces de lignes. Je ne me suis pas encore approchée du feu d’aujourd’hui.
Je ne sais pas si mes femelles viendront mais dans tous les cas je suis sous les armes [6] avec les deux JAMBES de mon poulet [7]. Mais vous, scélérat, qu’est-ce qui vous empêche de faire acte d’apparition dans mon pauvre taudis ? Est-ce à cause de la camisole soulevée et de la belle épingle neuve FLOUÉE, dites ? Eh bien je vous en fais CADOS mais venez, venez ou je vous les reprends.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 227-228
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « COURRE ».