11 décembre [1841], samedi, midi ½
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon pauvre amour. Comment vas-tu ce matin ? Moi je t’aime, voilà le bulletin de ma santé. Je t’écris à l’heure de ma pendule qui avance de plus d’une heure [1]. Du reste, le temps est bien beau et vous fait venir la promenade à la bouche et dans les jambes. Cependant, je sais bien que ce n’est pas pour moi que le soleil chauffe et reluit, je le sais et je ne m’y résigne pas. Au contraire, j’ai plus que jamais envie de jouer des jambes avec vous et plus que jamais besoin de bonheur avec vous. Si je n’en ai pas, ce n’est pas faute de le demander et de le désirer mais j’ai beau vous prier et vous supplier, vous êtes sourd comme un pot et sensible comme Jacquot. Taisez-vous, vous devriez rougir de votre conduite envers moi. Taisez-vous, c’est ce que vous avez de mieux à faire.
Quand vous verrai-je, Toto ? J’ai bien besoin de vous voir et de baiser votre ATROCE farimousse. Ne me faites pas languir jusqu’à ce soir. Tâchez aussi de me mener jusque chez Barbedienne. Qu’est-ce que cela vous fait de m’y conduire puisque vous N’ENTREREZ PAS ? Et vous me rendriez un très grand service dont je vous saurais gré toute ma vie [2]. À propos, vous savez que je n’ai plus que 20 et trois quarts de jours pour avoir ce que vous SAVEZ pour ce que vous savez. Nous devons tous les deux n’être pas fort réservésa [3], vous sur le papier, et moi dans mon âme [4]. En attendant que ces affreux vingt jours soient TIRÉS, je vous aime comme une dératée et je vous désire de même. Et puis, baisez-moi et aimez-moi ou LA MORT. Je vous attends, attendrai-je encore longtemps ? Dépêchez-vous donc un peu, vieux Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 199-200
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « réservez ».
11 décembre [1841], samedi soir, 5 h. ¼
J’attends, mon Toto, j’attends toujours et probablement j’attendrai longtemps encore. Ceci est peu récréatif et m’ennuie plus que je ne puis dire. Je ne peux pas me figurer, quelque occupation que vous ayez, que depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre, quels que soienta le jour, le temps et l’heure, vous ne trouviez pas un seul moment pour me faire sortir. En six semaines, je suis sortie une fois par la pluie le soir pour me réfugier dans un hideux théâtre. Tout ceci n’est rien moins que drôle, n’est rien moins que bon pour la santé et est tout à fait décourageant pour l’amour. Je voudrais m’empêcher de vous dire tout ça mais cela sort malgré moi de ma tête qui souffre et de mon cœur qui est triste. Je vous aime, Toto, mais cela vous est si égal maintenant que vous donneriez volontiers ma personne et mon amour pour n’avoir plus à vous occuperb de moi, n’est-ce pas, mon Toto ? Dites-le franchement et peut-être ne vous ennuierai-je plus longtemps.
Il a fait un temps ravissant aujourd’hui et il en fait encore un très beau ce soir. Où êtes-vous, que faites-vous ? À qui pensez-vous et qui aimez-vous ? Voilà ce qui m’occupe jour et nuit sans que ma curiosité soit jamais satisfaite. Enfin c’est comme ça. Je l’ai voulu GEORGES Dandine et je l’ai, il ne faut donc pas me plaindre [5]. Tant pire pour moi. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 201-202
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « quelque soit ».
b) « occupé ».