Paris, 14 juin 1881, mardi
Mon pauvre trop aimé, la journée se complique pour moi de toutes les choses tristes de ton passé et je ne sais vraiment auxquelles entendre. Je viens de recevoir une lettre qui me force à regarder une fois de plus les torts graves que tu as eusa envers mon amour. Ce soir, je suis forcée par respect humain, de recevoir à ta table la fille de la femme que tu m’as préférée il y a plus de trente ans [1]. Ces deux humiliations, ces deux douleurs en un seul jour, c’est beaucoup. Je ne te fais pas de reproche, à quoi bon ? Mais je sens se réveiller en moi avec une force nouvelle le besoin de m’enfuir de cette maison où les souvenirs honteux vont et viennent autour de moi impunément et osent me braver en face. Je ne me sens plus le courage de lutter. J’aime mieux en finir une bonne fois et te laisser seul aux prises avec le souvenir de tes amours et de leurs exigences. Ce sera plus digne pour moi et pour toi, je le crois plus amusant. Ce mois est le mois triste pour moi et s’ajoute au deuil de ma vie celui de mon cœur puissent-ils se changer en joie dans l’autre vie. En attendant je souffre et je voudrais m’en aller tout de suite hors de cette maison et bien loin. Ce serait peut-être le moyen de me débarrasser de tous ces souvenirs odieux qui me poursuivent et me harcèlent sans paix ni trêve.
L’absence, dit-on, est le remède à tous les maux. Je voudrais être loin si loin que je ne puisse pas revenir.
Je souffre, je souffre, je te pardonne. Tâche d’être heureux toi qui as le bonheur si facile et qui es assez riche pour le payer.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
Collection particulière, MLM, 62260 0122/0124
Transcription de Gérard Pouchain
[Charpentreau]
a) « eu ».