Paris, 22 février 1881, mardi midi
Ce n’est pas de ma faute, mon grand bien-aimé, si je suis débordée par ton interminable courrier et si j’ai à peine le temps de te bâcler ma restitus au galop de mes pattes de mouches gouteuses et ankylosées.
Encore s’il faisait beau et si je pouvais être gaie et te sourire, ça ne serait que demi mal, mais je suis aussi triste et aussi malade que le temps, ce qui n’est pas amusant ni consolant. Cependant mon gribouillis cherche à percer toute cette brume et tous ces nuages amoncelésa sur mon horizon et je m’y livre tout entière vaille que vaille.
J’ai vu Lesclide ce matin ; je l’ai invité à dîner ce soir ainsi que sa belle-sœur parce que je crois qu’il pourra déblayer un peu ta correspondance qui va de plus en plus grossissant. Il était d’ailleurs envoyé par Paul Meurice pour les billets à placer en mains sûres samedi soir. Cela m’a été d’autant plus facile que M. et Mme Lockroy ne dînent pas ce soir ; Jeanne non plus n’est pas assez remise pour descendre à table. Nous aurons donc Petit Georges seulement, les deux Rivet et les deux Régamey, en tout neuf personnes nous compris.
Je voudrais être à lundi prochain pour être bien sûre que tu as bien résisté à cet excès de fatigue de la représentation samedi [1] et de ta fête dimanche [2]. En attendant je fais force de cœur et d’âme pour être à la hauteur de ta gloire en t’admirant et en t’adorant de toute mon âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 37-38
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « amoncellés ».