Paris, 24 juillet [18]79, jeudi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, Mariette me dit que tu n’as pas bien dormi ; hélas ! il n’en pouvait guère être autrement avec la fatigue de corps et d’esprit que tu as euea hier à trier et à chercher tes manuscrits dépareillés et déclassés, sans parler de l’autre préoccupation mystérieuse et inexplicable à laquelle tu es en proie depuis quelque temps. Moi-même j’ai souffert de ton inquiétude à laquelle se rattachentb d’odieux souvenirs [1] qui me bouleversent toute chaque fois que je les entrevois, ce qui m’arrive trop souvent. Aussi ai-je payé, comme toi, de ma nuit sans sommeil cette revue rétrospective des sept dernières années empoisonnées qui ont repasséc sous mes yeux hier. Je voudrais déjà être morte pour être sûre que je ne les reverrai plus pendant le reste de jours que j’ai encore à passer sur la terre.
Jusqu’à présent, mon trop aimé, il n’est venu aucune convocation, rien qu’une lettre du bon Carjat, qui te rappelle que tu lui as promis autrefois de lui écrire une lettre pour mettre en tête du volume de vers qu’il va publier ces jours-ci [2].
Le temps paraît décidé à se mettre au beau mais je n’ose pas trop m’y fier car il est dans ce pays trop capricieux pour se fixer longtemps et sincèrement à l’amour des Parisiens et des Parisiennes. Il ressemble en cela à un autre soleil de ma connaissance que j’adore quand même.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 185
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « eu ».
b) « rattache ».
c) « repassées ».