31 mai [1841], lundi matin, 9 h. ¾
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Comment vas-tu mon petit homme bien-aimé ? J’espérais que tu viendrais ce matin {} mais j’ai été trompée dans mon espoir. Je voudrais bien que tu puissesa venir tous les jours, ce serait un bonheur pour moi et une joie pour l’enfant qui n’en a pas souvent sujet avec moi toute seule [1].
Je ne sais pas si tu as éprouvé la même chose que moi à la lecture de la lettre de ce bon vieux bonhomme de Genève [2] ? Mais j’en [ai] été touchée jusqu’aux larmes. L’erreur même où il est à mon sujet n’a pas peu contribué à cette émotion. Je n’envie la place de personne, Dieu le sait, mais si jamais femme a mérité par son dévouement, sa vénération et son amour pour un homme de lui être attachée par un lien que le monde respecte, certes je suis une des premières et même la première de toutes. Jamais, mon Victor bien-aimé, femme n’a éprouvé un amour pareil au mien. Je t’aime de tous les amours à la fois avec l’autorité et la sollicitude d’une mère, avec l’admiration et la passion d’une maîtresse, avec la foi et l’adoration d’une dévote pour le bon Dieu. Je t’aime, mon Victor, et ce bon vieux pasteur ne se trompe pas quand il me croit digne d’être ta femme et la mère de tes enfants bien-aimés. Par le cœur, je le suis.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 207-208
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]
a) « puisse ».
31 mai [1841], lundi après-midi, 3 h. ¾
Lanvin vient enfin de m’apporter la fameuse robe de mousseline de laine de COTON, elle est hideuse. Je la fais découdre afin de voir quel parti en tirer et si elle n’est pas mangée aux vers. Lanvin a encore été forcé de donner cinq sous, cinq sous pour frais de MANUTENTION. Enfin nous en voilà débarrassés mais elle est hideusement hideuse [3]. À propos, j’ai demandé à Lanvin si on lui devait de l’argent du Théâtre de la Renaissance [4] : on lui doit un mois et demi et deux mois de l’année passée, ce qui fait très près de quatre mois. Pour des gens aussi nécessiteux c’est une somme énorme. L’eau va toujours à la rivière, dit-on, et on peut dire aussi avec la même vérité : la misère va toujours à la misère, ce qui n’est pas consolant. Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon bon petit homme.
J’ai envoyé Suzanne faire mettre des brides blanches à mon chapeau [5], j’attends la blanchisseuse que je ne paierai pas par exemple et pour cause MAJORE. Au reste, comme il faut qu’elle revienne mercredi soir, je pourrai la payer si j’ai de l’argent. En attendant je t’aime et je me fiche de tout et du reste et de bien autre chose encore. Bien entendu que tu m’aimes aussi, toi. Jour Toto, jour mon petit o. Je vous baise.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 209-210
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette