29 mars [1841], lundi matin, 11 h. ¼
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon pauvre bien-aimé. Tu ne veux donc plus te reposer ? Tu ne veux donc plus déjeuner avec ta pauvre Juju, jamais jamais ? Tu ne seras content que lorsque tes yeux seront bien malades et que je serai devenue enragée.
L’ouvrière n’est pas venue non plus selon sa louable habitude [1] ; si tu veux profiter de cela pour me faire sortir cela me fera du plaisir et du bien tout ensemble.
À propos, j’ai fait une brioche [2] hier, je m’en suis doutéea au moment où je mettais le cordon à ta montre. C’est qu’au lieu de demander aux Lambinb de la gansec faite à la main, la plume m’avait tourné et que j’avais demandé de la gansec à la mécanique. J’ai renvoyé Suzanne ce matin savoir ce qui valait mieux des deux et on a dit que c’était la gansec à la main. En conséquence, j’en ai fait prendre une à la condition qu’on reprendra l’autre et tantôt je te changerai la mauvaise contre la bonne qui ne coûte que cinq sous de plus. Cela ne m’empêchera pas de pouvoir finir le [raccord ?] sans avoir recours à ton boursicot derechef et en réitérant.
Mon Toto, mon Toto, vous laissez approcher l’époque fatale [3]. Je vous en préviens, je vous préviens encore que vous aime plus que jamais et que je suis bien triste quand je ne vous vois pas. Je t’aime mon Toto adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 295-296
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « douté ».
b) « Lambins ».
c) « gance ».
29 mars [1841], lundi soir, 4 h. ¾
Mon cher bijou bien-aimé, vous m’oubliez tout à fait, vous ne pensez pas plus à moi que si je n’existais pas. C’est très mal et très injuste car je vous aime de toute mon âme et je vous désire de toutes mes forces.
Si vous étiez venu j’aurais pu profiter d’un rayon de soleil pour sortir avec vous, aujourd’hui que je n’ai pas ma couson [4]. Au reste, j’ai donné campo [5] tout à l’heure à ma servarde jusqu’à l’heure du dîner, je sais compatir aux maux que je souffre, comme vous voyez [6]. Je suis donc seule comme un pauvre loup dans ma chambre, j’attends la blanchisseuse tout à l’heure.
Quant à vous, Dieu sait jusqu’à quelle heure je vous attendrai. Je vais copier tout de suite de l’album vert jusqu’à la nuit et ce soir encore après dîner si c’est possible [7]. Je crains que tu ne croies que je me manière en te disant que j’ai un affreux mal de tête. C’est cependant bien vrai, je suis rouge comme un coq. Il y a vraiment de la cruauté à toi à m’infliger ce supplicea d’asphyxieb physiquec et moral tous les jours que Dieu fait. Je sais bien que tu travailles mais….…..d enfin suffit, nous savons tous les deux à quoi nous en tenir et moi je sais de plus que je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 297-298
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « suplice ».
b) « axphixie ».
c) « phisique ».
d) Il y a dix points de suspension.