18 mars [1841], jeudi matin, 11 h. ¾
Bonjour mon pauvre petit martyr, bonjour mon cher bien-aimé, comment vas-tu ce matin ? Comment vont tes pieds ? J’espérais qu’ils te feraient assez de mal pour te forcer à revenir mettre les autres mais il paraît qu’entre deux tortures tu as donné la préférence aux bottes trop étroites sur l’amour trop grand [1]. Chacun son goût et pour confirmation je pourrais ajouter le proverbe de mon pauvre vieux père [2] : « C’est comme un moine qui pissait dans sa soupe ». Je pourrais ajouter encore bien autre chose mais je ne veux pas vous ennuyera, d’autant plus que je n’y gagnerais rien.
J’étais réveillée avant 6 heures ce matin. On ne le croirait pas, c’est cependant bien vrai [3]. J’ai fait lever la bonne, j’ai donné mes instructions à l’ouvrière [4], j’ai lu, ne voulant pas me lever si tôt et je me suis rendormie jusqu’à présent. Mais comme cela me fait du mal, j’aime mieux, si cela continuait, me lever à six heures du matin que de dormir si tard dans la matinée.
La cordelière, les boutons et la ganseb ne seront pas prêts pour samedi, du moins le marchand ne le promet pas [5]. D’un autre côté il n’y a peut-être pas grand mal, tu commenceras la semaine en grand costume au lieu de la finir, voilà tout. Mamzelle Didine est bien heureuse, on continue à lui donner toutes les jambes et toutes les [illis.] pour tous.
Dédé et moi sommes les pauvres chiens à qui [on] ne donne que les vieux os qu’il n’y a plus à ronger [6]. Voime, voime, peu amusant.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 253-254
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ennuier ».
b) « gance »
18 mars [1841], jeudi soir, 4 h. ¼
Vous ne veniez pas de chez le Maréchal [7], mon Toto, vous y alliez, ce qui est bien différent. C’est pour cela que vous n’avez pas voulu que je voie de quel côté vous tourniez [8]. Oui oui, vous êtes un scélérat. Taisez-vous.
Je viens d’envoyer Suzanne chez Claire chercher les fameuses fleurs [9]. Il fait un temps de loup, froid et noir, je crains que cela n’influe sur mon pauvre père à qui il ne faudrait que du soleil et de la chaleur [10]. Moi-même, je suis toute blaireuse de ce temps-là et peu s’en faut que je ne me dise malade mais comme je sais que cela ne vous fait pas le plus petit effet, je m’abstiens. Si c’était une autre, à la bonne heure vous seriez au champ et à la ville pour la soulager mais moi ça ne compte pas. Voime, voime, vous faites grand cas de ma carcasse. Jour Toto, jour mon petit o. Penaillon vient de venir mais sans rien du tout de ce que je lui avais demandé. Je lui ai dit de dire à sa belle-sœur de venir un de ces soirs pour le chapeau de Claire et le mien [11]. J’espère que vous n’y trouverez pas à redire et que vous ne me ferez pas de SCÈNE ? IA, IA, baisez-moi et ne faites pas trop d’agaceries à vos vieilles duchesses [12].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 255-256
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette