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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 février [1841], lundi, midi ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Je t’aime mon ravissant petit homme, je t’adore mon Toto. Je ne suis pas encore levée mais si tu venais me chercher pour aller voir mon pauvre père [1] je serais bientôt prête. Je n’aurais que ma robe à passer, car je suppose que nous irions en cabriolet à cause du dégel et du peu de temps que nous aurions à nous ? Je voudrais bien que tu pussesa venir, mon bien-aimé, je te verrais et nous accomplirions un devoir qui me pèse tant qu’il n’est pas fait.
L’ouvrière [2] n’est pas venue aujourd’hui, encore une raison pour désirer sortir puisque, lorsqu’elle y est, je me fais un scrupule de la laisser avec Suzanne dans la crainte qu’elle ne perde son temps.
Je t’aime, mon cher petit Toto. Je te plains, mon adorable petit homme, car je suis sûre que tu as passé cette nuit comme les autres à travailler. Je t’aime, je t’aime plus que de toute mon âme. Je ne te donne pas encore ta lettre de CRÉDIT, ce sera pour tantôt. J’en écrirai une GROSSE GROSSE dans laquelle je ferai entrerb tout mon cœur et toute mon âme. D’ici là je pense à toi et je t’aime. Je voudrais te voir, je te désire, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 121-122
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « pusse ».
b) « entré ».


8 février [1841], lundi soir, 5 h. ¼

Tu es bon, tu es doux, tu es beau, tu es noble, tu es grand, tu es généreux, je t’aime. Je viens de faire ce que tu m’as dit, mon adoré, j’ai écrit à mon pauvre père sous le couvert de cette vieille femme dévouée qui lui donne ses soins. Suzanne est allée porter la lettre à la poste. Si tu peux m’y conduire demain, je serai plus tranquille mais j’ai écrit à mon père que je n’irais peut-être pas avant jeudi, étant forcée de rester chez moi mercredi pour les créanciers [3]. Il va sans dire que je me suis dispensée de lui donner ce dernier détail.
Merci, mon cher bien-aimé, merci, tu es mon bon ange. Je vais commencer ce soir mes comptes. Enfin ! ça n’est pas malheureux, n’est-ce pas ? Au reste, cela pouvait s’ajourner qu’à ce soir sans grand inconvénient. S’il y en avait eu de sérieux, je ne l’aurais pas fait. Taisez-vous, vieux tyran, ça ne vous regarde pas. Rendez-moi mes quarante francs que vous me devez, ça vaudra bien mieure [4].
Ha ! ça, vieux Chinois [5], d’où vient que vous venez toujours faire votre poussière chez moi puisque vous avez une brosse neuve chez vous ? Je trouve ce système un peu japonaisa et pas mal despotique de venir user mes brosses et salir mon ménage sans raison. PÔlisson, viens-y encore, tu verras comme je te la secouerai ta poussière et tes puces par-dessus le marché. Voime, voime.
En attendant, tâchez de ne pas venir trop tard, j’ai faim et soif de vous, moi et je ne peux pas me mettre à la diète de bonheur depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Je vous attends sous les armes [6]. Je vous aime scélérat, je vous désire vieux Chinois, venez vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 123-124
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « japonnais ».

Notes

[1L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa seconde épouse, une dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette qui a reçu d’elle, le 5 février, « une permission de le voir tous les jours de midi à trois heures ».

[2Pauline. Juliette veut faire faire depuis quelques jours un gilet de cachemire pour Hugo, qui devait être terminé le jour même.

[3Tous les dix du mois, des créanciers comme le tapissier Jourdain, Lafabrègue ou l’homme de Gérard viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

[4Variante de « mieux » ?

[5Juliette appelle fréquemment Hugo ainsi parce qu’il éprouve un intérêt tout particulier pour la Chine. Il en parle dans ses œuvres et collectionne aussi chez lui de nombreux objets.

[6Se dit à l’origine d’une troupe qui a pris les armes pour faire quelque service ou pour rendre quelque honneur puis, au sens figuré et familier, d’une femme qui emploie tous ses moyens de plaire (Dictionnaire de l’Académie française de 1877).

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