27 octobre [1837], vendredi matin, 10 h. ½
Bonjour mon cher petit homme. Tout à l’heure j’étais encore si souffrante que c’est à peine si j’ai pu articuler quelques mots pendant que tu étais là. Maintenant je crois que je vais aller mieux. J’ai de bonnes raisons pour le croire. D’abord nous ne sommes plus fâchés et vous n’êtes plus méchant. Il m’est impossible à présent de pleurer sans être horriblement malade après. Ainsi vous voilà prévenu. J’ai envoyé [1] ce matin chez Mmes Pierceau et Krafft. Le petit enfant de la première est toujours dans le même état avec l’addition de l’os du bras cassé. Il paraît qu’elle va faire un procès à l’administration qui lui avait procuré la nourrice en offrant sa surveillance comme garantie du soin de la nourrice et de la santé de l’enfant. Quant à Mme Krafft elle n’est pas plus mal. Moi je vous aime comme si je n’avais pas tous les sujets de vous haïr. Et voilà mes nouvelles les plus nouvelles.
Tâchez de n’être pas la dupe des platitudes et de soumissions sans nombre du VÉDEL [2] et aimez-moi si vous pouvez seulement assez pour mettre votre conscience en repos. Voilà tout ce que je vous demande.
Je voudrais bien vous revoir. Il me semble que vous auriez bien pu déjeuner avec moi. Je vous aurais attendu autant qu’il aurait fallu et j’aurais été très heureuse.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 317-318
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
27 octobre [1837], vendredi soir, 9 h. ¼
Mon cher petit homme, je ne sais à quoi attribuer le malaisea général que j’éprouve mais je souffre beaucoup. Je vais me coucher tout de suite, aussi bien je tomberais par terre de la force du mal de tête. J’ai été forcée de m’arrêter un moment, je n’y voyais plus pour t’écrire. Mon Dieu que je souffre. Je t’aime mon Toto. Tu es souvent injuste envers moi mais je t’aime toujours et peut-être encore davantage à l’issue de ces scènes absurdes. Je maintiens le mot scène parce que c’est la seule dénomination grotesque qui convient aux soupçons ridicules dont vous m’honorez. Une autre fois je serai moins indulgente. Aujourd’hui je vous pardonne avec enthousiasme. Je vous aime, je vous aime et je vous aime.
S’il avait fait moins mauvais je vous aurais prié de me faire sortir un peu ce soir, car j’en ai vraiment besoin. La tête me tourne et j’ai mal au cœur. Je suis plus rouge que ma robe. C’est vraiment bien courageux à moi de t’écrire malgré tout cela. C’est que je vous aime vieux Toto, et que ça vous est bien égal. En attendant je vous baise de tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 319-320
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « mal aise ».