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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 octobre [1837], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour mon bien aimé Toto. Il ne faut pas que je me plaigne, n’est-ce pas ? C’est pas ta faute si tu n’es pas venu. Tu as travaillé, tu es bien las et bien fatigué, aussi je ne grogne pas. Je t’aime, mais je suis triste et j’ai besoin de te voir et je souffrirai jusqu’à ce que tu viennes. Suzette est chez Mme Krafft. J’ai peu dormi cette nuit et mal. J’épiais dans mon demi-sommeil tous les bruits qui se faisaient croyant y découvrir celui que tu fais en ouvrant ma porte. Enfin d’espoir en espoir, de déception en déception, je suis arrivée jusqu’à ce matin ayant mal dormi et t’aimant plus que jamais. Si tu pouvais venir un peu ce matin ça me ferait du bien pour toute la journée [1]. Je l’espère. C’est déjà un bonheur mais ce n’est pas encore assez. Quel temps ravissant. C’est juste comme il y a quatre ans [2]. On serait sûrement heureux dans les bois. Les rayons [3] n’y doivent pas manquer ni la mousse non plus. Il est vrai que nous avons eu l’instinct de rester à Paris et d’être le moins possible ensemble, ce qui est toujours quelque chose. Je t’aime. Je t’aime trop et je ne pourrais pas t’aimer moins. Je t’aimerai toujours ainsi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 277-278
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


16 octobre [1837], lundi soir, 9 h. ¾

Je me tourmente, mon cher adoré, car depuis hier je ne t’ai pas vu [4]. Et quoique je sache que tu travailles, je sais aussi que tu n’as pas pour habitude de me laisser si longtemps sans me donner signe de vie. Si tu es allé chez ta somnambule [5], tu as dû savoir que j’étais fort triste et fort seule à l’exception cependant d’un moment de la journée où l’ouvrier de Jourdain est venu poser les plumes du lit [6]. À l’exception de cet homme, je n’ai vu personne, pas même Manière qui recommence son absurde genre d’autrefois. Il paraît que c’est moi qui suis cause de cela. Aussitôt qu’un individu quelconque a affaire à moi, je ne peux jamais le voir quand j’en ai besoin (ceci au besoin peut passer pour un aveu au licteur [7]). J’espère que ce sera bientôt mon tour à aller consulter la somnambule. Ce sera peut-être le moyen de te voir et de savoir où tu es et ce que tu fais. Ouf ! j’en ai gros sur le cœur, sans compter que peut-être tu ne viendras pas aujourd’hui et que si tu viens tu seras ou de mauvaise humeur, ou fatigué, toutes choses peu agréables pour une pauvre femme qui jeûne depuis plusieurs jours. Je t’aime trop, va, c’est bien vrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 279-280
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Ce jour-là, Hugo est aux Roches. Il en résultera le célèbre poème « Tristesse d’Olympio ».

[2Juliette compte en incluant l’année de référence au lieu de compter les intervalles jusqu’à 1837. En réalité cela fait trois ans qu’elle et Victor Hugo ont séjourné aux Roches, lieu emblématique de leurs amours sereines dont elle ne cessera d’avoir la nostalgie.

[3Le soulignement est une allusion au titre des prochains Rayons et les ombres, dont Juliette a pu lire quelques jours plus tôt l’un des poèmes : « Quand tu me parles de gloire… » (voir la lettre du 13 octobre).

[4Ce jour-là, Hugo est allé aux Roches. Il en résultera le célèbre poème « Tristesse d’Olympio ».

[5Dans sa lettre du 13 octobre, Juliette faisait allusion à une magnétiseuse. Hugo semble donc avoir consulté régulièrement une voyante à cette époque.

[6Il s’agit de panaches, bouquets de plumes ornementaux (aigrettes), disposés souvent verticalement aux quatre coins du dais du lit. Juliette les évoquait dans ses lettres des 14 et 24 juillet 1837.

[7Jeu de mots sous forme d’autocommentaire, qui confond sciemment « lecteur » et « licteur » (officier au service d’un grand magistrat).

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