11 mai 1849

11 mai [1849], vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, comment vas-tu ? Songeras-tu ce matin à prendre de la drogue ? Tu aurais dû charger Dédé du soin de t’y faire penser et de te l’administrer. De cette façon tu n’aurais pas à t’en préoccuper, ce qui est presque impossible avec toutes les choses que tu as à faire, et je serais plus tranquille. Pour ce qui est de ma maison, il me semble que, puisque tu y viens, il serait absurde de ne pas profiter au moins de la seule chose bonne qu’on y trouve, c’est-à-dire de l’eau pour baigner tes yeux. Du reste, c’est un cercle vicieux dont il n’est pas facile de se tirer avec avantage. Car si d’un côté tu soulages tes pauvres yeux adorés, de l’autre tu peux compromettre ta santé c’est-à-dire ma vie et mon bonheur. Cela est assez embarrassant. Pour aujourd’hui il n’y a rien à craindre puisque tu ne monteras pas tantôt et que tu ne viendras pas ce soir. Mais il est difficile que cet état de choses^a se prolonge longtemps. Nous verrons comme nous arrangerons cela, l’essentiel est de parer jour à jour aux inconvénients et aux événements. En parlant d’événement, je voudrais bien que la fameuse élection fût passée et que la législative fonctionne car rien n’est plus inquiétant que tout ce qui se dit à ce sujet ou se fait pressentir, tant des individus que des journaux. Quant à moi, si je pouvais t’emporter dans mes bras bien loin de cette majestueuse république, je n’y manquerais pas au risque de te séparer de Poléma et de son auguste famille, boucles rouges, lorettes et autres toupies [1] du même sang.

Juliette

MVHP, MS a8199
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « chose ».

11 mai [1849], vendredi matin, 11 h.

Je n’ai plus de papier, mon petit homme, de sorte que je t’écris sur des chiffons sales et tout maculés d’encre. Tâche de m’en avoir d’autres aujourd’hui même ou je cesse d’écrire [2]. Ce qui serait irréparable, vous croyez que je ris ? Eh bien vous vous trompez car j’ai besoin pour ma santé et pour mon bonheur de vous gribouiller deux fois par jour mes tendres billevesées, d’ailleurs vous savez qu’il ne faut rien changer à ses habitudes et à son régime dans ce moment, ce à moins de courir les plus grands dangers. Du reste, je ne sais pas de nouvelles de la malade. Il faut espérer qu’elle s’en tirera et qu’elle n’en aura pas de regret. Je le souhaite pour elle, la pauvre femme, quoiqu’elle me soit inconnue. Que dites-vous de mes deux fauteuils ? Quand je pense avec quel généreux empressement vous m’en avez payé un presque tout entier, les larmes m’en viennent aux yeux de reconnaissance. Voime voime, c’est attendrissant. Aussi, pour cette belle action, vous serez réélu à une immense et imposante majorité, c’est moi, Juju, qui vous le prédis car la reconnaissance voit de loin. Certes, mon adoré, si les Parisiens ne sont pas les plus stupides et les plus ingrats savants de l’univers, tu dois être réélu à l’unanimité [3]. Malheureusement je les crois plus près de l’ingratitude et de la stupidité que de la reconnaissance et du bon sens. Aussi, je ne risque que la moitié de ma main dans la crainte qu’ils ne la laissent trop chauffer. Du reste, cela me serait plus qu’égal si ce n’était l’intérêt général auquel je suis bien formée de penser malgré moi, et puis je t’adore de toutes mes forces.

Juliette

MVHP, MS a8200
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine