21a septembre [1837], jeudi matin, 9 h.
Bonjour mon cher bien-aimé. L’anniversaire de notre retour à Paris [1] a été encore plus triste que le jour même puisque vous n’êtes pas venu du tout, ni cette nuit, ni ce matin. Aussi mon lever se sent-il de cette absence. Je n’ai pas encore ôté mon bonnet de nuit de dessus ma tête et mes idées sont aussi tristes et aussi maussades que lui. Est-ce que vous resterez toute la journée encore à Auteuil ? Ce sera bien gai pour la pauvre Juju sans parler de Claire qui attrapeb toujours sa part de mon humeur plus ou moins noire. Et cette bête de Mme Guérard qui me fait coûter 10 sous pour me dire qu’elle croit qu’elle engraisse et qu’elle te souhaite le bonjour. C’est bien intéressant.
Je vous aime mon Toto bien aimé. Je vous aime trop puisque je suis malheureuse quand vous vous absentez. Je voudrais bien pouvoir vous aimer à mon aise, comme vous par exemple qui ne ressentez pas la moindre variation en bien ou en mal, de loin ou de près. Vous êtes toujours la même chose. Vous n’en perdez ni un bon mot, ni un éclat de rire, ni un nuage gris, ni une patte de la Grande Ourse, ni un crapaud, ni un coucher de Soleil, ni la Terre, ni l’eau, ni le vent, ni la brise. Vous voyez tout, vous jouissez de tout sans penser seulement une pauvre petite fois à la vieille Juju qui se morfond et se désespère toute seule dans son coin. Lequel de nous deux aime mieux l’autre, hein ? Répondez si vous l’osez et dites que c’est moi, Juju, et vous aurez dit la vraie vérité. Oui que je vous aime.
Tâchez de ne pas rester loin de moi toute la journée et aimez-moi d’être si triste de ne pas vous voir.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 191-192
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Guimbaud]
a) Le 1 de 21 surcharge un 2 initial et erroné dans 22.
b) « attrappe ».