Guernesey, 28 octobre [18]67, lundi, 6 h. ½ du m[atin]
C’est de mon lit bien chaud que je t’envoie mon bonjour encore plus chaud, mon ineffable grand bien-aimé, après avoir constaté piteusement que je suis en avance de réveil ce matin sur toi, ce qui sera cause probablement que je n’aurai pas la chance heureuse de te voir faire ton premier déjeuner en plein air comme hier. Mais les matins se suivent et ne se ressemblent pas, dit le proverbe, et ce n’est pas tous les jours fête. Tout cela n’est ni neuf ni consolant mais je n’y peux pas que faire [1] et il faut bien que je m’arrange de cette philosophie pitarde et guernesiaise, sans compter toutes les autres dont je fais une énorme, une énorme, une ÉNORME consommation. Et à ce propos, je crains bien de dépenser en pure perte toute ma patience et toute ma rhétorique à vouloir dégrossir et former cette pauvre petite pucière sercquoisea dont l’intelligence semble appauvrie et hébétée comme son physique. Je crois qu’au lieu de m’user en pure perte à ce travail énervant, je ferais mieux de prendre ta petite Thérèse qui est déjà suffisamment dressée pour m’épargner la fatigue des premiers moments. Quant à l’inconvénient de son entourage, il existait pour Elisabeth et je n’ai pas eu à en souffrir, et même, je ne m’en suis pas aperçue. Et d’ailleurs, je crois que, d’instinct, la petite d’elle-même tend à s’éloigner de son origine. Au reste, nous en reparlerons et, comme toujours, je ne ferai que ce que tu voudras. T’aimer et t’obéir, c’est tout un pour moi et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16388, f. 261
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « serkoise ».