Guernesey, 15 novembre [18]63, dimanche matin, 8 h. ½
Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, que la paix, le bonheur et l’amour soient avec toi comme avec ton esprit, comme on dit à la messe. Quant à moi je t’aime et cela me tient lieu de tout. J’ai eu hier, après que tu as été parti, une explication avec mes diverses servantes, laquelle explication a aboutia à ceci que je paye l’aller et le retour de la Bretonne. Je te passe les incidents ou plutôt les accidents de Suzanne laquelle s’est livrée à divers exercices sur mes verres sans pouvoir atténuer à mes yeux ce que sa conduite avait de coupable et d’ingrat envers moi. Ma pauvre sœur pleure toutes les larmes de son corps comme si toutes ces misères misérables étaient de sa faute [1]. Moi je regarde de ton côté et je souris. Tant que je sentirai ton cœur près du mien je ne crains rien. Ma sœur voulait partir demain même ; mais, outre que le pique-nique [2] la réclame, moi je sens le besoin d’adoucir tout ce que ce dénouement précipité a d’amer pour elle qui, en somme, croyait bien faire en se chargeant d’une commission impossible. S’il y a une faute à reprocher à quelqu’un elle doit m’être attribuée à moi seule. J’ai assez de philosophie pour payer, non ma gloire mais ma présomption dans les servantes. Du reste Suzanne est angélique ce matin, et l’autre plus que triste. Tout cela fait un ensemble nébuleux et gris qui me ferait le cœur assez lugubre si je n’avais en moi le soleil de plus en plus rayonnant de ton amour. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16384, f. 254
Transcription de Gérard Pouchain
a) « aboutit ».