Jersey, 22 avril 1855, dimanche après-midi, 3 h.
J’ai beau fixer mes yeux dans ta direction, mon cher petit homme, je ne te vois pas venir. Cependant, je ne me plains pas car c’est déjà du bonheur que de t’espérer et de t’attendre. Je viens de copier l’extrait de ta lettre à Janin [1]. Maintenant je commence à comprendre l’espèce de bouderie de Dumas contre toi dans son journal [2]. Tes éloges arrivant par-dessus ses injures au susdit Janin ont dû le débarbouiller avec un panier bien qu’il n’y ait eu de ta part aucune préméditation de lui être désagréable dans tes compliments littéraires. Cela prouve du reste, de la part de Dumas, plus de susceptibilité que de raison. Et puis cela m’est profondément égal par-dessus le marché et j’ai beaucoup mieux à faire que d’apprécier à tort et à travers les pourquoi et les parce que de tes amis dramatiques, critiques et autres. Je t’aime, voilà le fond et le tréfonds de mon intelligence, de mon opinion et de ma vie. Est-ce que tu ne viendras pas bientôt ? Je t’ai à peine vu hier et j’ai eu la chance d’être couchée quand tu es revenu. Aussi je sens que j’ai une faim et une soif de toi que toutes les restitus du monde ne font qu’aiguiser au lieu d’assouvir. Tâche de venir bien vite, mon trop bien-aimé, afin que j’aie le temps de remplir mes yeux, mes lèvres et mon cœur de bonheur.
J.
BnF, Mss, NAF 16376, f. 161-162
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa