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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16323, f. 11-13

Samedi soir, 8 h. 20 m[inutes]a

Je tâcherai de ne mettre aucune amertume dans ce que je vais vous écrire quoiqu’il y en ait beaucoup dans mon cœur. Je tâcherai d’être froide et résignée devant les choses injustes que vous me faites souffrir depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Je désire que les paroles que je vais vous dire soient comprises de vous – parce qu’il m’importe qu’elles le soient. Je voudrais que vous descendissiez un peu en vous-même et que vous examiniez sérieusement si vous êtes pour moi ce que vous devriez être envers une femme honnête, dévouée, ne reculant devant aucun sacrifice, aucun devoir. Je voudrais que vous me disiez loyalement si vous trouvez votre conduite envers la femme dont je vous parle, digne et généreuse. Quand une fois vous aurez résolu ce point, il s’agira de résoudre si je suis la femme honnête et dévouée pour laquelle je réclame l’examen de votre confiance. Pour en venir à ce but, je vous reconnais le droit d’employerb tous les moyens qui sont en votre pouvoir, de prier ou de loin par vous ou par toute autre personne ou chose que vous croirez pouvoir vous aider à découvrir la vérité à mon égard. Ceci une fois fait, je m’en rapporterai encore à vous sur la manière de fixer ma position avec vous. Mais au nom du ciel, tâchez de savoir qui je suis, que je n’aie plus le supplicec d’être attaquée sans pouvoir me défendre, souillée sans pouvoir me laver, blessée sans pouvoir me guérir. Vous savez, mon ami, ce que vous avez dit de Claude Gueux(1) et sur la fatalité qui le poussait à faire une action violente mais qu’il croyait ne pouvoir pas ne la pas faire. Eh bien, c’est ce qui m’arrive à moi chaque fois que votre injustice revient me déchirer le cœur. Il se passe en moi le besoin de faire une action violente contre laquelle je lutte avec plus ou moins de succès, selon que la crise a été plus ou moins forte, plus ou moins longue. Voyez-vous, mon pauvre ami, je vous le dis avec le cœur navré et les yeux remplis de larmes. Je suis une honnête femme, je n’ai même pas eu besoin de me régénérer à votre amour pour le devenir, j’étais honnête et je suis demeuréed honnête dans ma vie de désordre et de malheur. Vous ne me croyez pas. Que voulez-vous que je fasse, dites ? Je me le demande nuit et jour sans pouvoir trouver une issue à cette position où je suis vis-à-[vis] de vous. Et je continue de souffrir, et je regrette amèrement de m’êtree laisséef prendre à cette perspective d’estime et de considération que je ne devais jamais atteindre.
Enfin mon ami, j’espère que vous comprendrez ma lettre, si obscure qu’elle soit à cause de la difficulté que j’ai à m’expliquer par écrit. J’espère que vous ferezg droit à ma réclamation. Je souffre, voyez-vous.

Juliette

(1) Je ne prétends pas faire entendre que je tuerai personne. Ce n’est pas là d’ailleurs l’action de la vie la plus violente qu’on puisse faire.

BnF, Mss, NAF 16323, f. 11-13
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette

a) « 2 » est ajouté sur la lettre en haut de la cinquième page, qui se compose en deux parties (deux fois quatre pages). Il se peut que Juliette, ou une autre personne, ait annoté la lettre pour indiquer l’ordre de lecture.
b) « emploier ».
c) « suplice ».
d) « demeuré ».
e) « mettre ».
f) « laissé ».
g) « ferai ».

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