Mardi, 11 h. du soir
été [18]33a
C’est lorsque je t’ai quitté méchante – que notre séparation est cruelle pour moi – Mon Dieu ! pourquoi t’ai-je laissé partir précipitamment,¬ partir sans adieu – Oh ! j’ai bien des remords – et bien des chagrins à l’heure qu’il est – et je voudrais me repentir à tes genoux – Je suis bien méchante – bien injuste n’est-ce pas ? Mais je t’aime – Oh ! oui, c’est bien vrai – je t’aime – Je ne crois qu’en toi – je ne vis qu’en toi – et pour toi – Veux-tu savoir ce qui me rend folle, injuste et méchante ? C’est la crainte de n’avoir pas la première place dans ton cœur ––
Je souffre de te savoir près de gens qui ont autant que moi – et plus encore le droit de t’aimer – Enfin, j’envie jusqu’à l’air que tu respires – Je crains que l’air soit plus doux – le soleil plus beau – à la campagne qu’à Paris – où l’air est si lourd – Le soleil est si triste depuis quelques jours ––
Si tu savais comme je t’aime – mon Victor, tu aurais de l’indulgence – tu m’aimerais davantage – pour toutes ces tracasseries que te suscite mon amour – Je t’aime plus que je ne puis dire – Je t’aime avec frénésie – Enfin je t’aime – mais mon cœur va bien au-delà de ce mot, je t’aime – J’y mets toute ma vie – toute mon âme – Pourvu que mon injustice ne te refroidisse pas – pourvu que ta belle petite fille [1] ne soit pas malade sérieusement – pourvu que tu reviennes au plus tard demain – pourvu que tu m’aimes encore autant – Tout est encore réparable – Je t’aimerai jusqu’à l’expiation complète de tous mes torts – Je t’aimerai après – toute ma vie – et au-delà si nous avons une autre vie –
Bonsoir ange – Bonsoir, mille baisers, mille caresses, en pensées, en désirs. Je t’aime mon Victor.
Juliette
Pensez à moi – aussi – Vous ne m’écrivez jamais vous – On ne répétera que Shylockb [2] demain – Rien de nouveau –
BnF, Mss, NAF 16322, f. 13-14
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
[Souchon]
a) Date rajoutée sur le manuscrit par une autre main de celle de Juliette Drouet.
b) « Schylock ».