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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 16 février 1861, samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé. Bonjour comme il y a vingt-huit ans, la première fois que je te l’ai donné, dans un baiser, ce bonjour si banal en lui-même mais qui est resté de moi à toi, depuis ce premier, pour une sorte de sacrement de mon amour. Bonjour, avec la même tendresse, avec la même ardeur de cœur et le même enivrement de l’âme qu’il y a vingt-huit ans. Bonjour avec encore plus d’admiration, si c’est possible, pour ton génie, plus de vénération et plus d’adoration pour ton grand caractère, pour tes sublimes vertus. Bonjour, mon doux bien aimé, comment vas-tu ce matin ? Ta nuit a-t-elle été meilleure que l’autre et ta gorge s’est elle tout à fait apaisée ? Tu me diras cela tantôt. Jusque là, je m’efforce de croire que tu vas bien, pour ne pas remplir cette lettre anniversaire de tristesse. Et à ce sujet, mon adoré, je te dirai que je pense comme toute ta famille, c’est-à-dire comme le médecin, qu’un déplacement, même dans cette saison, ferait disparaître tout de suite cette petite affection nerveuse et beaucoup plus à coup sûr que toutes les pilules et que tous les liniments qu’on t’ordonne. Cela ne m’empêche pas d’ajouter que ton voyage différé n’a pas non plus d’autre gravité (ce qui est encore de trop) que de prolonger cette petite souffrance, mais dans aucun cas je suis sûre, d’après la sécurité du médecin et surtout de la mienne, que ton indisposition ne peut jamais devenir une maladie sérieuse. Cependant, je verrais avec joie tout ce qui pourrait la chasser au plus vite, cette bête de petite indisposition tenace et entêtée, sans rime ni raison. Si je pouvais, à force d’insultes, la faire déguerpir, je l’appellerais de tous les noms les plus hideux. Mais j’ai encore un meilleur emploi de mon vocabulaire et de mon papier, c’est de t’appeler des noms les plus doux et les plus tendres et d’en remplir toute la création et d’en imprégner l’air que nous respirons. Mon Victor adoré, tu ne sauras jamais combien je t’aime, il n’y a pas d’énumération, ni de mots, ni de baisers qui puissent te le dire. Je t’aime toujours, de plus en plus au fur et à mesure que mon amour se dégage de mon cœur… Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je te bénis. Je te donne ma vie. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 44-45
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette

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