11 mars [1839], lundi midi
Bonjour Toto, comment va votre petite gorge et votre chère poitrine ? Il paraît au reste que rien ne peut plus vous décider à venir déjeuner avec moi ? Je ne vous en fais pas mon compliment car vous ne pouvez pas objecter le besoin pressant d’argent puisque j’en ai à remuer à la pelle. Donc ce n’est que votre indifférence qui vous cloue chez vous. Je suis très mécontente et je ris jaune car tout ça m’a bien l’air d’être vrai. J’ai beau me plaindre tous les jours, vous ne m’en tenez aucun compte. Si vous croyez que ça m’amuse, vous vous trompez furieusement. Je suis presque en colère contre vous car voici le moment d’abstinence FORCÉE qui vient et tout le temps oùa je pouvais faire gras comme un moine, vous m’avez fait faire maigre comme plusieurs clous et vous êtes cause que je rabâche toujours la même chose et que je suis bête comme une oie. Oh vous êtes très coupable et surtout très froid et je devrais ne plus vous aimer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16337, f. 251-252
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette
a) « que ».
11 mars [1839], lundi soir, 5 h. ¾
Il paraît, mon Toto, que j’ai réussi à être fort maussade tandis que je n’étais qu’un peu souffrante et très amoureuse ? Au reste, c’est toujours comme ça : on n’esta jamais ce qu’on paraîtb. Les beaux sourires, les belles figures, les belles manières, les beaux yeux et les douces paroles sont souvent les plus menteurs. Je suis là-dessus de l’avis d’une certaine Marie Tudor [1]. D’ailleurs j’ai pour corroborer mon opinion mon propre exemple. Je suis laide, triste, maussade, souffrante à l’extérieur. Dans mon âme, je suis en admiration et en extase devant vous et je vous dis les paroles les plus tendres et les plus douces et les plus persuasives. Voilà ce que c’est que d’être et de paraître, c’est bien différent. Et pour ma part, je vous aimerais mieux moins beau et très grognon si vous pouviez m’aimer à la place d’être un charmant et délicieux indifférent. Malheureusement je n’ai pas le choix et je vous adore comme vous êtes.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16337, f. 253-254
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette
a) « on est ».
b) « parrait ».