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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 mars 1849

24 mars [1849], samedi matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour, je viens de me refourrera dans mon lit, d’où je t’écris. Quel temps et quel froid ! Il tombe dans ce moment un petit duvet de neige qui vous gèle jusqu’à la moelle des os. Quant à moi, pour ne pas allumer mon feu, je reste dans mon lit bien chaud jusqu’après déjeuner. Maintenant que ce détail atmosphérique t’est connu, revenons à toi. J’avais pris le chemin le plus long pour ne pas commencer mon gribouillis en sonnant cette éternelle cloche des plaintes et des regrets. Mais quelque long que ce soit, le détour que j’ai pris, m’y voici arrivée et j’y sonne de toutes mes forces : Toto, Toto, Toto, pourquoi ne m’aimez-vous plus ? Il faut que ce soit bien fort puisque vous préférez tout à moi, même la MUSIQUE. Quant à moi, je crois que, non seulement vous ne m’aimez plus, mais que vous en aimez une autre. Vous ne me le dites pas par un sentiment de bonté et de pitié, mais toute votre conduite me le prouve. Il est probable même que ce semblant d’intimité que vous conservez avec moi sert à masquer une intrigue que vous avez intérêt à cacher. Je ne me fais pas illusion et la preuve c’est que je ne veux pas m’en assurer. Je suis si sûre que cela est que je me prépare intérieurement à cette certitude pour n’avoir presque plus rien à faire le jour où j’acquerraib cette preuve de votre infidélité. Maintenant, mon Toto, ayez des affaires, des réunions électorales, des dîners politiques, des concerts philanthropiques, des bals vertueux, des veuves à trois filles nubiles, des Bourel et des Chaumontels à foison, vous ne mettrez pas une goutte de jalousie de plus dans mon cœur parce qu’il en est plein à crever.

Juliette

MVHP, MS a8170
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « refourer ».
b) « j’acquererai ».


24 mars [1849], samedi matin, 11 h.

Je suis un peu souffrante, mon Toto, depuis déjà quelques jours, mes douleurs de cœur et d’épaule m’ont reprisea. Cela ne m’inquiète pas mais cela me gêne. Il est vrai que tous ces brusques changements de température y sont peut-être pour quelque chose ? Mais en attendant, cela me rend toute triste et toute maussade. Il est vrai encore d’ajouter que je n’ai pas besoin d’y être poussée par aucune influence extérieure puisque c’est mon état naturel et habituel. Pour m’en faire sortir, de cet état grognon et malingre, il ne faudrait rien moins que ton amour, c’est-à-dire l’impossible maintenant. Aussi, je me résigne comme je peux à vivre avec moi-même avec cette pensée de me quitter dès que cela deviendra par trop insupportable. En attendant, je fais mes préparatifs pour être prête à midi ½ quitte à ne sortir qu’à 2 heures comme hier. Pauvre bien aimé, je te plains d’être en proie aux lamentations d’une vieille Juju comme moi. Si j’avais un peu de générosité, je te débarrasserais de tout cet ennui à la fois. Cependant, ce n’est pas ce qui me manque au fond. Peut-être qu’une bonne résolution, prise au moment où tu t’y attendras le moins, te délivrera RADICALEMENT de moi et de TOUT LE RESTE.

Juliette

MVHP, MS a8171
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « reprises ».

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