Lundi, Rennes, 2 h. et demie de l’après-midi
1834a
[4 août 1834] [1]
Mon cher Victor, je vous écris cette lettre au hasardb, avec la triste précertitude que vous ne la lirez jamais. Cependant, ce ne sera probablement pas la dernière que je vous écrirai jusqu’au moment où vous n’aurez plus le droit de refuser de les lirec.
Mon bien-aimé Victor, je t’aime plus que jamais. Je ne peux pas me passer de toi. Je voudrais mourir pour toi – et pourtant, je ne peux accepter ton dévouement qui, pris au pied de la lettre, compromettrait ta santé et ta vie. J’ai dû te fuir, je l’ai fait – J’ai bien souffert pour résister à ta voix suppliante – pour résister à tes yeux pleinsd de colère et de haine – Oh ! oui, j’ai bien souffert et maintenant, à l’heure où je t’écris, je ne résisterais ni à ta prière si douce, ni à ta colère si terrible. Je suis bien malheureuse, je souffre, je t’aime et je te bénis. Sois heureux.
Juliette
Une partie de tes vœux s’est accomplie, mon âme et mon corps ont déjà bien souffert. Tu peux y ajouter toutes les vexations des autoritése stupides qui veulent trouver chez une femme sans passeport [2] la cause de toutes les tracasseries que leurs bêtises leur attirent.
Je suis à Rennes depuis une ½ h. Il est 2 h. ½. Je repars demain pour Brest à 8 h. du matin. J’arrive le jeudi à 5 h. du soir.
Mon Victor. Je t’aime, je suis capable de tout. Je t’aime. Ayez pitié de moi. Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16322, f. 200-201
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin, Blewer]
a) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette.
b) « hazard ».
c) « lires ».
d) « plein ».
e) « autoritées ».