10 septembre 1858

Guernesey, 10 septembre 1858, vendredi matin, 7 h. ^½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon bon petit homme, bonjour, comment vas-tu ce matin ? D’après ta bonne attitude hier au soir et ta belle mine, tu as dû passer une bonne nuit mais je ne serai vraiment tranquille et heureuse que lorsque j’en serai sûre de mes deux yeux et avec ton bon et doux sourire. Jusque-là, je fais de patience vertu, ce qui n’est pas tout à fait le bonheur. La visite de Miss Ailex s’est prolongée jusqu’à onze heures hier au soir sans que j’aie pu deviner à quoi je devais cette longue et gracieuse marque de déférence et de sympathie. Quand je dis que je n’ai pas pu deviner le motif de la longue visite de cette bonne demoiselle, je me trompe car il était parfaitement clair pour moi (le motif) et je l’en plaignais dans mon âme, tout injuste et tout absurde qu’il était, et peut-être même à cause de cela car je sais compatir aux maux que j’ai soufferts... et que je souffre toujours. Du reste, la pauvre fille s’en est allée comme elle était venue, toute seule, Charles [1] et son frère étant allés probablement passer la soirée chez les DuverdierES [2] sans souci de la jalousie de la pauvre folle. Cela n’est pas bien héroïque ni bien généreux de la part de ces deux jeunes hommes mais ils ne s’en doutent pas, telle est leur force. Notre faiblesse, à nous, c’est de vous aimer d’autant plus que vous le méritez moins et de tenir plus au malheur que vous nous faites que vous ne tenez au bonheur que nous vous donnons, à preuve que je vous adore, MONSTRE.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 258
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette