Paris, 17 avril [18]79, jeudi matin, 6 h.
Cher bien-aimé, il ne tient pas à moi seule de croire que c’est nous qui nous marions aujourd’hui tant j’ai le cœur plein du doux souvenir de nos fiançailles passées.
« C’était une humble église au cintre surbaissé/ L’église où nous entrâmes/ Où depuis trois cents [ans] avaient déjà passé/ Et pleuréa bien des âmes » [1]………b
Je retrouve en moi aujourd’hui toutes les émotions de ce jour-là accrues par plus de quarante-six ans de bonheur et d’épreuves, de dévouement et d’adoration. Aussi, bien que souffrante encore, je veux assister au mariage de cette belle et pure jeune fille [2] pour faire par anticipation devant Dieu nos noces d’or qu’il m’accordera, je l’espère, de renouvelerc réglementairement avec toi dans quatre ans. Cette espérance me redonne goût à la vie et c’est avec un courage surhumain, comme mon amour, que je brave tous mes bobos, ceux du corps comme ceux de l’âme.
Je me suis levée dès patron-minette pour te faire ma chère petite restitus d’autrefois. Après je me dépêcherai de bourdonner autour de ton coche sous prétexte de le faire aller jusqu’au bout de la journée malgré mon absence. Cher adoré je t’aime de tous les amours à la fois et je les résume tous par l’adoration perpétuelle dans ce monde et, je l’espère, éternelle dans l’autre.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF, 16400, f. 103
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]
a) « passés et pleurés »
b) Neuf points courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « renouveller ».