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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 octobre [1844], mardi matin, 10 h.

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, bonjour, je t’aime. Je vous défends de me faire faire des monologues comme celui que vous m’avez mis sur le dos hier ou je me fâcherai. Je n’ai pas besoin, moi, que vous me fassiez dire le contraire de ce que je pense, cela ne me convient pas du tout, entendez-vous ? Je vous permets le fac-simile du nez d’Argout [1], du toupet du XXX, du tour indéfrisable de la belle demoiselle, mais je vous ordonne de me respecter et de ne pas faire ma caricature ou je vous ficherai des coups.
Suzanne se plaint de votre peu d’appétit, est-ce que tu étais souffrant, mon Toto ? Peut-être ton estomac avait-il trop attendu ? Quoiqu’il en soit, il paraît certain que ma servarde, qui ne veut pas passer pour une serventre, est très fâchée du peu d’honneur que tu as fait à sa fricassée. Tu ne risquesa rien. Une autrefois, il faudra que tu dévores tout l’établissement pour la contenter.
Et moi, mon Toto, quand est-ce que vous me dévorerez ? Votre appétit n’est guère éveillé non plus à mon endroit. J’ai beau y mettre tout mon amour pour assaisonnement, je ne vous affriande pas beaucoup. C’est peu flatteur, mais parfaitement décourageant. Je ne veux pourtant pas me plaindre car j’ai la conviction que cela n’avance à rien. J’aime mieux te parler d’autre chose.
La soirée était bien belle hier, mon Toto chéri, c’est dommage que nous en ayons si peu jouib sur quatre heures de sortie. Je t’ai à peine eu une heure et demie avec moi, c’est bien peu. Cependant, je m’abonnerais à ce peu là tous les soirs, si cela se pouvait. Je ne suis pas assez gâtée par le bonheur pour faire fi de celui qui me donne trente pour cent d’intérêt. Au contraire, je regarderais cela comme une véritable bonne forteresse et j’y soupire d’avance des mains, des lèvres et du cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 301-302
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « risque ».
b) « jouis ».


29 octobre [1844], mardi soir, 10 h.

Tu vas venir bientôt, n’est-ce pas mon Toto chéri, car tu sais que je ne t’ai pas vu à peine de toute la journée. J’ai beau appeler tout mon courage et toute ma résignation à mon secours, je n’en suis pas moins triste et moins impatiente de te voir. J’ai vu Mme Marre qui me presse beaucoup trop pour l’affaire de son mari. Il est vrai qu’il s’agit d’opportunité, ce qui, jusqu’à un certain point, excuse son importunité. Elle m’a priée de recevoir son mari demain de quatre à cinq heures afin qu’il m’explique à moi-même ce qu’il désire que tu fasses pour lui auprès de M. Comte. Je désirerais que tu puisses servir ce monsieur, dans l’intérêt de ma pauvre grande fillette dont Mme Marre continue d’être contente.
Pauvre adoré, il faut que je sois bien sûre de t’avoir donné toute ma vie, corps et âme pour oser t’obséder comme je le fais à tout propos. Mon Victor bien aimé, bien adoré et bien vénéré, tu es tout pour moi, tu es mon guide, mon appui, mon doux et noble ami, mon ravissant et délicieux amant. Tu es mon Victor bien aimé. Toutes les épithètes du monde sont renfermées dans ces quatre mots.
Je crois que nous avons fait un excellent marché pour cette toile. Tu verras ce qu’on en dira chez toi, mais je crois ne pas me tromper. Suzanne a apporté trois plats que tu verras ce soir. Peut-être il y en aura-t-il un qui te conviendra pour toi. Quant au domaine, il paraît qu’on veut le vendre 6 F. 20 s. par mois. Tu verras en dernier lieu ce soir s’il faut le prendre. Pour moi, je regarde ma ravissante petite médaille [2] et il m’est impossible de rien désirer (si ce n’est que tu viennes tout de suite), le reste m’est indifférent. Je n’ai pas grand mérite à cette sublime indifférence car tu m’as comblée ces jours-ci de toutes sortes de cadeaux plus charmants les uns que les autres. Je t’en remercie à genoux et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 303-304
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le nez du comte d’Argout était la cible de caricatures et de moqueries.

[2Le 10 octobre, Juliette a fait l’acquisition de ce portrait de Victor Hugo.

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