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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 août [1844], vendredi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon petit Toto bien aimé, bonjour, mon âme, bonjour, ma vie, bonjour, ma joie, comment vas-tu de ce beau temps là, mon cher petit homme ? Moi je geins selon mon aimable habitude. J’ai mal à la tête et au pied, ces deux extrêmes, qui, pour ne pas se toucher, s’entendent cependant parfaitement pour me faire souffrir. Quel affreux été aussi, et comment ne pas [blairer ?] de ce temps-là ? Quant à moi, cela m’est impossible et je [blaire  ?] de toutes mes forces, cela me console à défaut de guérison.
Quand te verrai-je, mon Toto adoré ? Je suis déjà bien impatiente de te voir. Cependant je ne veux pas que pour moi tu sortes, de ce vilain temps d’orage, avec tes petits souliers d’étoffe et je veux encore moins que tu sortes pour les autres. Je trouve mamzelle Juju bien heureuse de vous avoir à gogo tandis que moi je tire la langue comme un pauvre chien enragé. Quand je pense à cette injustice, je n’ai plus la moindre envie de rire, au contraire. Mais enfin, il faut bien vouloir ce qu’on ne peut empêcher, quitte à bisquer dans son coin.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Papa est bien i, ia, ia, monsire, matame [1], à côté il y a de la place. Baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 85-86
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette


23 août [1844], vendredi soir, 4 h.

Je suis pour ce que j’en ai dit, mon Toto, vous n’avez pas mis votre bel habit neuf uniquement en l’honneur de cette pluie battante. Que vous me disiez le contraire, cela vous regarde, mais que je croie ce que vous me dites, c’est une autre affaire. Vous aviez probablement la répétition de M. Charles Duveyriera à présider et des visites à faire et à recevoir ? Je sais bien que la plupart de ces choses-là ne peuvent pas s’éluder et vous avez grand tort, mon cher petit homme, de m’en faire un mystère. Cela a l’inconvénient de me mettre martel en tête et de me tourmenter beaucoup, précisément à cause du mystère que vous en faites. Si je grogne à tort, je vous en demande mille fois pardon d’avance et à vos chers petits genoux. D’ailleurs, que je grogne ou que je soupire, que je te brusque ou que je te caresse, c’est toujours de l’amour. C’est pour ne pas toujours être [plusieurs mots illisibles] attiser [plusieurs mots illisibles] femme à genoux devant son amour que je me donne moi-même les raisons qui [peuvent  ?] m’en faire sortir en me rendant la plus malheureuse des femmes. CHACUNE prend son plaisir où elle ne le trouve pas. Baisez-moi, mon cher petit homme, mon beau petit homme, mon bel habit noir, baisez-moi et tâchez d’avoir la conscience aussi blanche que votre habit l’est peu. Je vous aime, entendez-vous ? Je vous adore mon petit Toto, même dans le simple appareil d’un poëte qu’on vient d’arracher au sommeil [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 87-88
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « Duverryer ».

Notes

[1Imitation de l’accent allemand pour « oui, oui, monsieur, madame ».

[2Référence au Britannicus de Jean Racine : « Belle, sans ornements, dans le simple appareil D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil. » (v. 389-390)

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