18 août [1844], dimanche matin, 11 h. ¼
Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour mon cher petit faussaire, bonjour le plus charmant mais le plus fallacieux des hommes. Je ris, mon amour, et j’ai des larmes plein les yeux. Depuis ce matin, je pleure car je t’aime d’un amour tendre et religieux qui n’admet pas de plaisanteries et de mystifications, même les plus gaies et les plus spirituelles. À l’avenir, je te prie de m’apporter des lettres fraîches et des bouquets à date sincère. Que tout soit loyal entre nous, mon adoré, les petites comme les grandes choses. Je t’en supplie à genoux. Je ne veux pas de miracles des roses [1], en sens inverse, et je ne veux pas de résurrection de vieilles déclarations crevées depuis des temps [immémoriaux ?]. Laissons au martyrologe, à la Bible et à Robert Macaire [2] ces petits talents de société mais soyons sérieux et honnêtes dans notre amour comme nous l’avons toujours été jusqu’ici. D’ailleurs, je n’ai pas le caractère bien fait, comme tu sais, et je sens qu’une nouvelle espièglerie de ce genre me blesserait au cœur et partout.
En attendant, mon Toto, tu te disposes à aller à ton royal rendez-vous. J’espère qu’en sortant de chez la princesse, tu viendras me voir. J’ai bien besoin que tu me consoles car j’ai vraiment mon pauvre cœur gros de tristesse et d’amertume. Depuis ce matin, je pleure, mon adoré, il me semble que tout mon amour s’en va par ces deux petites blessures imperceptibles mais assez profondes pour toucher le cœur. Je souffre. Je suis bien malheureuse. Va, je te ferais pitié si tu me voyais.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16356, f. 65-66
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
18 août [1844], dimanche soir, 9 h. ½
Je t’ai vu, mon adoré, je t’ai vu, je t’ai entendu, j’ai repris dans ton beau regard sincère, dans ta douce voix, dans tes tendres et loyales prestations, toute la confiance, toute la tranquillité, tout le bonheur qui s’étaient envolés depuis que cette espièglerie d’écolier les avait effarouchés. Si tu savais combien j’ai souffert jusqu’au moment où tu es venu, tu saurais combien je t’aime, mon noble, mon sublime, mon Victor adoré. Je te demande pardon de t’avoir soupçonné. Je t’en demande pardon à genoux comme d’une mauvaise action. Mais, va, j’ai bien souffert par où j’ai pêché ! Tant que je ne t’ai pas eu vu, j’étais comme une pauvre âme damnée. J’étais folle. Baise-moi, mon Victor adoré, pense à moi, pardonne-moi et reviens bien vite auprès de moi. J’ai besoin d’effacer par mon amour et par mes baisers l’outrage que je t’ai fait, à mon cœur défendant. Dorénavant j’accepterai tous les 4 qu’il plaira à Mons Toto de m’envoyer comme article de foi et je respireraia tous les parfums les plus nauséabonds et les feuillages les plus croupis qu’il daignera recueillir et cueillir pour mon fichu nez comme les plus suaves odeurs et les plus verdoyants bouquets qu’il y ait sous la calotte du ciel. À propos de calotte, je te supplie d’en détacher une sous la forme de girofléeb à cinq feuilles [3] sur le nez du trop ingénieux Toto de ma part. Cela me fera plaisir personnellement.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16356, f. 67-68
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « respirai ».
b) « girofflée ».