19 juin [1837], lundi matin, 9 h. ½
Bonjour mon cher petit homme, bonjour mon petit chéri. J’ai déjà embrassé votre petite bonne femme à votre intention, et quoiqu’elle soit très gentille, il n’y a pas de quoi en être jaloux, n’est-ce pas ? Je vous avais dit hier que je dormirais comme un vieux sabot. C’est [ce] qui est arrivé. Un peu après que vous m’ayez eu quittée, je me suis endormie jusqu’à présent. J’espère que voilà [une somme ? / un sommeil ?]. Vous voyez par le format de mon papier [1] que j’ai l’intention de vous restituer [2] votre petite lettre d’hier. C’est que je suis honnête, moi, et que je ne voudrais pas vous faire tort de ça. Seulement je ne vois pas le moindre Jourdain. Aussitôt que lui ou les siens seront venus, je t’enverrai la chose. Je vous aime mon cher petit homme. Je vous aime plein mon cœur et plein mon âme, et je vous assure que tous les deux ont une fameuse capacité. Aussi vous n’userez jamais tout cet amour-là, vous n’êtes pas assez fort pour cela. Ceci est dit sans mauvaise pensée et sans équivoque. Plus le terme de la délivrance approche, et moins je dois compter vous voir [3]. Je tâche de faire bonne contenance, mais je n’y réussis guère. Jour mon petit o. Jour mon gros to. Je vais envoyer tout à l’heure la bonne chez Turlot [4] avec un mot d’explication encore pour être bien sûre que les taches s’en iront. Je vais bien vous aimer toute la journée. Je ferai tout mon possible pour n’être pas triste. De votre côté vous tâchereza de venir me voir très tôt et rester très longtemps avec moi. Ça sera très gentil et très bon et ma VERTU sera récompensée comme elle le mérite. Jour mon petit o. Jour. Je vous baise en pensées en attendant que je puisse le faire en actions. Jour mon gros to. Jour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 311-312
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « tâcherai ».
19 juin [1837], lundi soir, 8 h. ¼
C’est fini ! Et pour peu que ce petit travail se prolonge encore une semaine, je suis une femme morte ! J’ai un mal de tête fou. Je ne sais pas comment je trouve le courage de t’écrire. Il faut que je t’aime d’une solide manière car pour rien dans le monde je ne pourrais écrire à d’autres qu’à toi. Vous êtes bien bon de m’avoir laissé votre petit dessin. Vous m’auriez fait beaucoup de chagrin en me le refusant.
Je t’aime mon Victor bien aimé. Ce n’est rien de le dire bêtement comme je fais, mais c’est admirable de sentir et de comprendre comme moi à quel point tu es au-dessus de tous les hommes. Si j’étais moins souffrante, je te dirais toutes sortes de choses bonnes et douces. Mais en vérité chaque lettre qui sort de ma plume me donne un coup de marteau sur le front. Je souffre beaucoup plus depuis que j’ai dînéa, pour justifier le proverbe qui dit que le mal de tête demande à paître [5]. Soir pa, soir man. Je vous n’aime [6] de toute mon âme, quoique votre coup de griffe au front m’aitb furieusement égratigné le cœur. Ne vous y refrottez plus toujours, ou bien gare à vous.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 313-314
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « dîner ».
b) « mais ».