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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 avril [1849], samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon petit bien aimé, bonjour, mon grand Toto, bonjour, et soleil partout pour toi, mon amour frileux et transi. Je ne sais pas encore si je pourrai aller te conduire à cause de mes coliques. Ce que je sais trop bien c’est le regret que j’aurai si je ne peux pas faire ce voyage à l’Assemblée, qui est pour moi depuis bientôt un an le voyage à Cythère, Voime, voime, voyage bien pittoresque et bien voluptueux dont le gazon est formé des perruques de représentants. Enfin tel qu’il est je m’en contente et c’est pour moi un vrai chagrin quand je ne peux pas faire ce petit trajet. Avec cela que je ne te verrai pas ce soir à moins que tu n’aies le courage de venir en sortant de la séance et avant de rentrer chez toi. À te dire vrai j’y compte beaucoup et ce serait une bien grande déception pour mon pauvre cœur si tu ne venais pas quelques instants ce soir, mais je te désirerai tant que tu ne pourrais pas te dérober à l’attraction de ce désir passionné. J’espère aussi que tu penseras à moi dans ce bal ne fût-cea que pour garder tes yeux et ton cœur de toute tentation ? Je te permets de regarder autant de jeunes polkeurs que tu voudras, de causer avec autant d’ambassadeurs que tu pourras, de manger et de boire autant de bonnes goblotteries que tu en trouveras, mais je te défends les beaux yeux, les belles épaules, les doux cancans parce que c’est très malsain en temps de choléra et de Juju. Je te conseille de garder tes pieds liés et ton cœur idem et d’avoir l’esprit et le ventre libres de toute fâcheuse préoccupation. Je te permets d’aller à ce bal à la condition de suivre scrupuleusement toutes mes prescriptions hygiéniques, et de m’aimer.

Juliette

MVHP, MS a8193
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « fusse ».


21 avril [1849], samedi matin, 11 h. ½

Hélas ! mon cher amour, je n’irai pas te conduire, je sens que ce serait vraiment une imprudence dans l’état de courbature et de colique où je suis. Il faut que ce soit bien fort pour que je consente à sacrifier mon cœur à mon ventre. Aussi, ce n’est pas sans regret et sans rage que je me soumets à cette dure et stupide nécessité, tu peux m’en croire. J’aimerais mieux, pour mon goût, courir avec vous partout et ailleurs que de rester chez moi à voir tourner mon ombre sur mes chenets. Je ne m’y résigne que malgré moi et forcée par toutes sortes de cors et de records [1] très malappris et très embêtants. Je compte que vous me rabibocherez ce soir de mes ennuis d’aujourd’hui et que vous resterez avec moi le plus longtemps que vous pourrez. C’est avec cette espérance que je sais me faire une espèce de patience et de courage pour la circonstance. Cher adoré bien aimé, si tu venais ce soir et si tu restes un peu longtemps je n’aurai pas assez d’amour pour t’en témoigner toute ma reconnaissance et tout mon bonheur. Je te laisserai aller à ce bal sans amertume et sans d’autre inquiétude que celle de ta santé pour laquelle tu ne prends aucune précaution. Je veux que tu t’amuses à ce bal, que tu sois fier et heureux du succès de ta belle famille, que tu manges des bonnes petites choses et que tu sois bien fidèle DU RESTE. Pendant ce temps-là, moi, je penserai à toi, rien qu’à toi et je t’aimerai de toutes les forces de mon âme. Mais il faut que tu viennes ce soir un peu bien longtemps et que tu restes un peu beaucoup.

Juliette

MVHP, MS a8194
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1Est-ce bien « records » ou « recors » que voulait dire Juliette ?

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