19 février [1849], lundi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon représentant adoré, bonjour. Je me fais une joie de te voir tantôt, quoique ce soit une chose attendue et qui se renouvelle à peu près tous les jours et à la même heure, mais le désir que j’éprouve à voir venir ce moment-là rend mon plaisir aussi vif et aussi profond que si c’était la première fois que je le ressente. Tu serais bien gentil de ton côté si tu voulais penser à m’avoir deux billets pour l’Assemblée en dehors de ton tour [1]. Si j’osais, je pousserais encore plus loin l’indiscrétion, mais je sais d’avance que tu ne te rendras pas à ma prière, ce qui me décourage un peu, cependant je me risque :
Je prie monsieur Toto de me faire l’honneur de venir dîner chez moi tout de suite. Il y aura des bonnes gobloteries et on ne dansera pas.
La marquise Juju de Siguenza [2]
Maintenant que je vous ai formulé en termes honnêtes mon invitation, je vous prie d’y répondre, en termes non moins honnêtes, que vous acceptez et que vous viendrez tel jour à telle heure et le plus tôt possible. Puisque vous allez dîner chez Mme Guérard, vous pouvez bien manger chez moi il me semble ? Dépêchez-vous donc au plus vite, je vous en supplie.
BnF, Mss, NAF 16367, f. 11-12
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
19 février [1849], lundi matin, 11 h. ½
Cher petit homme, je pourrais bien te dispenser d’emporter tous les jours deux stupides et insignifiants gribouillis qui ne t’apprennent rien de ce qui se passe dans mon cœur et qui n’ont pas d’autre mérite que d’être l’enveloppe rugueuse et désagréable et lourde de l’amour le plus doux, le plus tendre et le plus ardent qui ait jamais existé. Il suffirait de deux baisers bien appliqués pour te donner l’amande de ces deux bêtes de noix que tu es obligé d’écalera tous les jours. À ta place je saisirais avec empressement l’offre que je te fais d’épargner ton temps, tes yeux et ton indulgence. Ce que je te dis pour mes grotesques élucubrations, je ne le dis pour mon amour. Je veux que tu le gardes, que tu l’aimes et que tu t’en serves jusqu’à la fin des finsb et quand tu devrais en crever d’indigestion. Tu vois que ma modestie n’est pas mince et que je te force justement à faire le plus difficile. Voilà ma générosité, je n’en saurais rien rabattre, de même je ne renonce pas à ma seizième page de ma trop seizième année [3]. Dès que vous aurez un moment je le prends pour mon cher petit livre rouge. En attendant je vous aime comme une vraie Juju que je suis et je prie le bon Dieu de ne me laisser vivre que le temps juste où je ne vous serai pas indifférente.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 13-14
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « écaller ».
b) « la fin des fin ».