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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 février [1849], vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon cher adoré. Je suis bien grognon ce matin, et pourtant je veux te paraître aimable. C’est le cas où jamais si je veux lutter avec ta saltimbanque [1]. C’est aujourd’hui à midi qu’elle va chez toi. Dieu veuille qu’elle en sorte comme elle y sera entrée mais j’en [une ou deux lignes illisibles] tranquillité. Tu aurais dû revenir me voir hier au soir. Cela m’aurait redonné un peu de confiance et de courage, choses dont je suis toujours fort à court. Tu as cru sans doute qu’Eugénie serait à la maison puisque je te l’avais dit, mais elle n’est pas venue et j’ai passé ma soirée seule, ce qui ne m’a pas autrement contrariée. Ce qui me tient au cœur, ce que je désire, ce que j’aime, c’est vous. Le reste m’est égal comme deux œufs. Je voudrais bien parvenir à cette superbe indifférence à votre sujet. Malheureusement tous les efforts que je fais pour y parvenir ne servent qu’à me rendre votre absence plus odieuse et votre présence plus heureuse. Mais le bonheur de vous voir est si rare et si léger qu’il ne peut pas dans tous les cas servir de contrepoids à [une ligne illisible]. C’est une expérience que je fais tous les jours et dont je ne suis que trop sûre. Quant à vous, [vous] vous en fichez supérieurement et vous croyez avoir fait votre devoir et bien mérité de la patrie quand vous m’avez permis de vous suivre comme un caniche à votre Académie et à votre Assemblée. Voime, voime, c’est bien généreux de votre part et cela peut entrer en concurrence avec les douze travaux d’Hercule. Vous seriez bien fort si vous n’étiez pas si faible. Baisez-moi si vous l’osez. Je ne demande pas mieux et je vous en montre le chemin… Suiiiiiiivez-moi.

MVH, a8151
Transcription de Florence Naugrette


8 février [1849], vendredi midi

Voici le moment dangereux et je suis là pour qui me galope déjà. Tâchez cependant, mon amour, de vous conduire honnêtement et décemment avec votre susdite péronnelle parce que je ne plaisante pas et que je vous ferai un très mauvais parti. Vous êtes averti, méfiez-vous. Sérieusement, mon petit homme, je suis triste et inquiète. Je te prie de ne pas prolonger sans nécessité cette répétition suspecte. Je t’en prie, mon petit homme, et je t’en serai bien reconnaissante. J’ai beau faire pour changer cette idée fixe, je n’y parviens pas. C’est au point que je ne trouve rien à te dire hors de là. Pourtant je sens bien que j’ai le cœur plein de tendresses mais il m’est impossible de les faire jaillir tant la peur comprime toute expansion. Pardonne-moi et plains-moi. Je t’ai attendu hier jusqu’à onze heures. J’espérais toujours que tu trouverais le moment de venir et il est vrai, mon cher amour, que, outre tes occupations, tu as ton mal de gorge qu’il ne faut pas réveiller. Aussi j’approuve ta prudence autant que je le peux et je tâche de trouver ma consolation dans la pensée que tu vas bien. Maintenant il s’agit de trouver le courage et la patience de t’attendre jusqu’à quatre heures. Ce n’est pas le plus facile. Je n’ose pas entrevoir la possibilité que tu ne viennes pas du tout parce que je ne sais pas ce que je deviendrais. J’ai déjà beaucoup trop de mes craintes du moment sans anticiper sur celles de l’avenir. J’attends, je bisque, je rage et je me tourmente de toutes mes forces. Il faut bien faire quelque chose pour employer son temps. Ne pouvant pas vous baiser, je rage, c’est tout simple.

MVH, a8152
Transcription de Florence Naugrette

Notes

[1On ne sait de qui Juliette est jalouse ici. À cette époque, Hugo fréquente Alice Ozy.

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