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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 janvier [1845], lundi soir, 10 h.

Je ne sais plus où j’en suis, mon Toto, c’est un fouillis et un bouleversement hideux. Mais ce qu’il y a de plus hideux, c’est qu’il va falloir attendre au moins deux jours que le menuisier ait posé les baguettes et les tambours. Pauvre amour adoré, il faut te résigner à bien des doléances de cette sorte tout le temps que durera cet ennuyeuxa déménagement. Ennuyeuxa, bien ennuyeuxa puisque tu ne pourrasb pas t’en occuper. Quand je pense que rien de ce que j’avais rêvé pour cet arrangement intérieur n’aura pas lieu avec toi et par toi, je suis consternée. Rien ne me sourit plus. Je trouve tout laid, abominable et révoltant. C’est dans cette aimable disposition d’esprit que je vois se faire ce déménagement. Tu dois penser si je suis heureuse. Cependant je ne suis pas grognon, Dieu le sait. Je sens tout ce qu’il y a eu de gentil et de bon à toi à venir par le temps qu’il faisait et dans ton négligé du matin. Je t’en ai su bien bon gré, mon cher adoré, et j’aurais donné bien des mois de ma vie pour te retenir quelques minutes de plus auprès de moi dans ce pittoresque accoutrement. Tu trouvais moyen d’être encore plus beau comme cela qu’avec l’habit brodé [1] et tout ce qui s’en suit. C’est bien dommage que tu étais si pressé. J’espérais que tu serais venu ce soir avant ton dîner. Je me suis trompée. Maintenant je t’attends de minute en minute. Tâche d’abréger mon impatience et mon supplicec en venant tout de suite.
Clairette est partie ce matin à 7 h. ¼. Je m’étais levée à 6 h. ½ mais par un petit sentiment de gâterie, je ne l’ai réveillée qu’à sept heures, juste au moment où Lanvin la venait chercher de sorte qu’elle n’a eu que le temps de s’habiller à la hâte et de m’embrasser une fois pour toi, une fois pour moi. Me revoilà seule pour quinze jours. Bien seule puisque je ne te verrai presque pas, hélas ! hélas ! hélas ! hélas ! Je ne veux pas entamer ce chapitre-là parce que je retomberai dans mes rabâcheries et dans mes tristesses sans fin.
Toto je t’aime, Toto je t’adore, Toto tu es gentil, tu es doux, tu es beau, tu es bon, tu es adorable et adoré. Si tu viens tout de suite, je serai la plus heureuse femme du monde et je te le prouverai par ma joie, par mes caresses, par mon amour et par mon adoration. Jour, Toto, jour, Toto, Juju est bien bête, Juju est bien laide, Juju est bien sale, mais Juju vous admire, mais Juju vous désire, mais Juju vous aime de tout son cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 57-58
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».
b) « tu ne pourra ».
c) « mon suplice ».

Notes

[1Juliette désigne ainsi l’habit vert, habit des académiciens.

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