22 avril [1848], samedi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon bien-aimé endormi. Je te baise les yeux à peine ouverts parce que je vais prendre un bain. J’aurais pu profiter de la pluie et économiser mes trente-cinq sous mais je ne veux pas abuser de la générosité du bon Dieu. Je laisse cette ressource aux canards, aux caniches et aux candidats à l’Assemblée nationale. C’est demain que se décide le sort des ÉLUS qui auront le bonheur d’aller se faire écrabouiller pour la République. Je vous avoue que pour ma part J’AI UNE AUTRE AMBITION pour vous et que je souhaite vivement qu’il vous manque une voix d’appoint pour éviter ce sort glorieux [1]. S’il dépendait de moi que vous ne fussiez pas nommé à cette simple majorité je m’y emploierais de toutes mes forces. Je laisserais la patrie se tirer de là comme elle pourrait et sans le moindre remords. Je ne suis pas plus héroïque que cela. D’ailleurs il y aura toujours trop de Ledru-Rollin et bien assez de Marrast en France et je doute que jamais plus il n’y aita un autre Victor Hugo. C’est ce qui fait que je suis si prodigue de ceux-là et si parcimonieuse de mon cher petit CELUI-CI. Je ne m’en cache pas au contraire. Vive la liberté.
Juliette
MVH, 8071
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « est ».
b) « Marast ».