23 janvier [1848], dimanche matin, 10 h.
Bonjour, mon Toto aimé, bonjour mon bonheur, bonjour et bonheur à toi et à tous les tiens. Je commence ma journée un peu tard sans que ma nuit en ait été plus longue pour cela car il est impossible d’imaginer les bruits d’allées et venues qui se font entendre dès six heures du matin depuis que cette pauvre femme est morte [1]. Je suis courbaturée quand je me lève autant que si j’avais passé la nuit sans me coucher. Mais cela ne peut pas continuer longtemps et j’aurais mauvaise grâce de m’en plaindre. Mais toi, mon petit homme, comment vas-tu ? As-tu du feu dans l’endroit où tu soupes le soir ? Pauvre être résigné, cher doux amour, je ne peux pas penser à toi sans me sentir le cœur plein de pitié et d’admiration. Les larmes me viennent aux yeux et mes poumons se gonflent comme si je voyais souffrir ta belle âme. Je ne peux pas te dire ce qui se passe en moi mais je sens que je te plains et que je t’aime avec tout ce que j’ai de plus sensible et de plus tendre en moi.
Cher adoré, je veux que tu aies du feu pendant que tu manges ton souper froid. Il ne faut pas non plus pousser l’héroïsme jusqu’au martyr cela n’est pas nécessaire. Ce qui importe c’est que tu ne souffres pas, c’est que tu conserves ton admirable santé, c’est que tu m’aimes comme je t’aime.
Juliette
MVH, 7844
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
23 janvier [1848], dimanche soir, 4 h.
Tu vas bientôt venir, n’est-ce pas, mon bien-aimé ? J’ai tant besoin de te voir que je compte les minutes avec la même inquiète impatience que si c’était des heures. Où es-tu à présent, mon Toto ? Est-ce que par hasard tu te promènes ? Quel courage. Quant à moi je ne l’aurais que pour aller te trouver. [illis.] de là je ne me sens que le courage de rester au coin de mon feu et de n’en pas sortir. Voilà tout ce dont je suis capable. Demain cependant il faudra bien aller à la messe de cette pauvre Mme Burgot. J’ai reçu le billet de faire-part qui indique que ce sera pour 11 h. du matin. On l’a embaumée tantôt. C’est probablement pour cela qu’on ne l’a pas enterrée aujourd’hui. Demain donc je sortirai pour cette lugubre cérémonie. Je serai de retour probablement vers midi. Je te le dis d’avance pour le cas où tu viendrais afin que tu saches à quoi t’en tenir.
Je dînerai de très bonne heure ce soir pour donner congé à Suzanne qui désire aller voir sa cousine. Je compte sur toi pour me tenir COMPAGNIE. Voime, voime, Toto est un très aimable compagnon, je m’en fiche. Cependant tel qu’il est, il fait ma joie et mon bonheur et je serais bien attrapéa s’il ne venait pas ce soir de bonne heure. J’y compte tant que je peux et je le désire de toutes mes forces. À preuve que je l’aime de toute mon âme et que je le baise de tout mon cœur.
Juliette
MVH, 7845
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « attrappé ».