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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1847], samedi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon petit homme, bonjour, mon doux Toto, bonjour, joie, santé et bonheur à vous. Je vous défends de me demander jamais si vous me gênez. Est-ce que ma maison n’est pas la vôtre ? Est-ce que je ne vous appartiens pas ? Est-ce que ma joie n’est pas d’être avec vous et mon bonheur de faire tout ce qui vous plaît ? Pourquoi faire semblant de l’ignorer ? Pourquoi des manières quand on est aussi sûr que vous l’êtes de tout cela ? Dorénavant je vous ficherai des coups pour vous apprendre à être bonhomme dans toute l’acception du mot. Je veux que vous me traitiez comme celle en qui vous avez le plus de confiance, comme celle qui vous aime le plus et dont vous êtes la vie.
Vous savez que je ne suis pas encore remise de votre injustice [1]. Plus je vais et plus je la trouve atroce. Je ne sais pas même où s’arrêtera mon indignation si vous ne vous dépêchez pas de me lire beaucoup de pages et de me les donner à copier. Vous m’en devez déjà beaucoup, sans compter celles qui s’ajouteront à l’arriéré tantôt. Je suis très décidée à ne plus vous faire un pas de crédit. Ainsi pas de lecture, pas de sortie. Maintenant je ne ménagerai plus rien. Je vois trop qu’on est dupe de sa confiance et je ne veux plus l’être. Je me ferai payer le plus possible d’avance mais jamais, au grand jamais, je ne vous ferai crédit. Ceci est un parti pris et que rien ne fera changer.
Baisez-moi cher monstre et aimez-moi, je vous l’ordonne.

Juliette

MVH, α 8019
Transcription de Nicole Savy


18 décembre [1847], samedi midi

J’ai pris un bain ce matin, mon petit homme, et j’attends ma couturière, ce qui sera cause que je ne pourrai pas sortir à l’heure convenue. Mais je sortirai toujours. J’ai reçu une lettre de Mme Luthereau, nous la lirons ensemble tantôt. Du reste il fait un temps exquis et dont je voudrais bien profiter avec toi, car je t’avoue que les promenades solitaires sont plutôt des corvées que des amusements pour moi. Quand je les fais, c’est par raison de santé et surtout pour t’obéir. Cependant maintenant j’y mets une condition, c’est que tu me liraisa deux feuilles par sortie. Sinon je ne bouge pas et je me donne une attaque d’apoplexie pour t’apprendre à manquer à ta parole. J’y suis décidée. D’ailleurs c’est la seule manière de vous punir, parce qu’au fond vous m’aimez et que vous seriez bien fâché de ne plus m’avoir pour me faire enrager, pour me demander : s’il a crié quand il m’a mordue ; combien de temps met la lumière à venir sur la terre et la racine de 9 ; sans parler de la théorie de la rosée [2] et autres billevesées du même genre. Et puis qui est-ceb qui corrigerait vos manuscrits ???????c
Vous voyez donc bien que je vous suis indispensable. Si vous tenez à me conserver, vous savez à quel prix. Quantd à moi, je n’ajoute plus rien. J’ai dit ce que j’ai dit et je ferai selon [ce] que vous ferez : lisant marchant. Pas de lecture, pas d’exercice. Et tout ce que j’aurai de mal sera sur votre conscience. Baisez-moi et aimez-moi si vous voulez.

Juliette

MVH, α 8020
Transcription de Nicole Savy

a) « lirai ».
b) « qu’est-ce ».
c) Les sept points d’interrogation courent jusqu’au bout de la ligne.
d) « Quand ».

Notes

[1La veille, Hugo a remporté son manuscrit de Jean Tréjean pour le lire à voix haute à ses proches, chez lui. Il réservait jusqu’alors cette primeur à Juliette.

[2Victor, à seize ans, avait remporté un accessit au Concours général, en physique, sur la « théorie de la rosée ». Visiblement il ne l’avait pas oublié.

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