19 août 1841

19 août [1841], jeudi matin, 10 h. ¾

M’avoir quittée^a si froidement hier, quand vous saviez ne devoir pas revenir le soir, c’est très méchant et très vilain, mon Toto, et je ne vous pardonnerai qu’à bon escient car les fautes d’amour sont beaucoup plus profondes et beaucoup plus graves que les autres. Depuis hier j’ai passé mon temps fort bêtement à vous désirer et à vous espérer entre M^me Guérard qui est venue dîner avec moi et M^me Triger et son fils qui sont venus le tantôt me faire leurs adieux, du moins le fils. En même temps j’ai prié Mme Triger de dire à son mari de passer aujourd’hui chez moi ou demain de deux à trois heures, comme je n’ai plus de pommade^b il est important que je sache tout de suite si je dois en racheter ou si je peux suspendre les frictions sans inconvénients.
Je me suis couchée à une heure du matin et je me suis réveillée sur les cinq heures, à peu près à l’heure où vous avez l’habitude de venir QUAND VOUS VENEZ. Vous voyez, mon adoré, que j’ai passé mon temps assez bêtement et que j’ai besoin d’un fameux dédommagement aujourd’hui et de beaucoup d’amour pour me faire oublier votre conduite noire. Je vous aime malgré tout.

BnF, Mss, NAF 16346, f. 159-160
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « quitté ».
b) « pomade ».

19 août [1841], jeudi soir, 4 h. ½

M. Triger est venu presque derrière toi, mon amour, et voici ce qu’il m’a ordonné^a de prendre jusqu’à mon départ : deux bains sulfureux^b par semaine et de continuer les frictions avec un demi pot qu’il fera faire chez son pharmacien Suply avec un sirop pour les maux de gorge^c fréquents^d et insupportables que j’ai. Du reste, il prétend que je serai à tout jamais guérie de cette petite maladie de peau et que la lenteur même du remède en est une garantie. Ainsi, mon amour, vous voilà au fait de la chose comme si vous y aviez été.
Je viens d’envoyer Suzanne à la pension de Claire pour lui porter ces zoubilles [1] du jour des prix [2]. J’ai eu la visite de Résisieux, du petit Jonas [3] et de la bonne. Cette fois l’affreux petit bonhomme n’a pas jeté un cri, j’avais eu soin de lui boucher la GEULE avec une échaudée que vous aviez laissée ce matin [4].
Du reste, rien de nouveau si ce n’est que la maison à droite a sur le cristallin une taie en papier et que je voudrais bien aller voir Ruy Blas ce soir [5]. Je voudrais aussi que vous veniez souper car je ne trouve pas très drôle de passer mes jours et mes nuits à vous attendre dans le désert. Baisez-moi, vieux monstre : « ne me fais pas rire, j’ai un bouton au bout du nez ». Quel bonheur, vous avez un nez TUMÉFIÉ. Quel bonheur !!! Baise-moi, monstre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 161-162
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ordonnée ».
b) « suffureux ».
c) « gorges ».
d) « fréquens ».