Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Mars > 9

9 mars [1843], jeudi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher amour adoré. Comment vas-tu mon cher petit homme ? Bien fatigué n’est-ce pas ? Je te voudrais hors de la troisième représentation et hors des épreuves à corriger. Tu pourrais au moins prendre quelque repos et soigner tes pauvres beaux yeux malades. Il me semble que cela ne peut pas tarder beaucoup pour ce qui est des épreuves. Quant à la pièce, ce sera fait d’ici à samedi. Ce soir, ce sera décisif et nous enfoncerons tous les ennemis, tu verras comme ce sera beau. Si le Beauvallet [1] veut prendre sur sa stupide fatuité de suivre tes conseils et de modifier son jeu sur tes indications je crois, avec tout le monde, que ce sera un immense succès d’argent. Mais il est à craindre que sa sotte vanité l’emporte et ne nuise dans l’avenir aux recettes. Cependant, mon cher adoré, cette pièce est si admirablement belle qu’elle résistera à la médiocrité de ceux qui la jouent. C’est une conviction que j’ai et qui ne me trompera pas, j’en suis sûre. Tu sais bien que je suis un peu vieille et beaucoup sorcière [2].
Je t’écris sur deux feuilles séparées parce que tu ne m’as laissée que cela cette nuit, merci cependant. J’en enverrai acheter dans le cas où tu aurais besoin d’écrire ce soir.
J’ai reçu un mot de Mme Guérard pour me dire qu’elle accepte la place que je lui ai offerte pour ce soir et qu’elle sera chez moi à six heures et demie et, comme les gens dont l’appétit vient en mangeant, elle me demande deux places pour la troisième représentation pour sa mère. Dans tous les cas où tu voudrais les lui donner, ce serait dans une troisième loge ou à la seconde galerie. Il faudra aussi que tu me dises si tu as besoin de Lanvin pour la 3ème représentation pour que je le dise à sa femme quand elle viendra me voir dans ma loge ce soir. Je crois que la représentation sera plus belle encore ce soir que mardi : nous applaudirons à faire rouler la salle sur le dos de Maxime et de ses séïdes, si elle en a encore. Mais je sais que l’exemple du chef de bataillon en aura dégoûtéa les autres mais, qu’ils y soient ou non, nous leur tremperons une soupe soignée [3] ; pour ma part, je retrousserai mes manches s’il le faut.
À ce soir, mon cher adoré, c’est-à-dire pour le succès et les applaudissements, mais j’espère bien te voir d’ici là, n’est-ce pas mon Toto chéri ? Je baise tes yeux, ta bouche, tes mains et tes chers petits pieds !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 217-218
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « dégoûter »

Notes

[1Beauvallet joue le rôle de Job dans Les Burgraves.

[2Sans doute Juliette fait-elle référence au personnage de Guanhumara, dans Les Burgraves.

[3Tremper une soupe à quelqu’un : « Expression populaire : le battre. » (Larousse du XXe siècle)

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne