Guernesey, 28 janvier [18]68, mardi matin, 8 h.
Je sais que tu viens de te lever, mon cher bien-aimé, par ton signal que je guettais mais je n’ai pas eu la chance de te voir. J’espère que ta nuit a été aussi bonne que la mienne maisa je te plains d’avoir à t’occuper de tes nouveaux venus [1], quelque intéressants qu’ils soient d’ailleurs. Je sens combien cela doit te fatiguer et te troubler dans ton travail, deux raisons plus que suffisantes pour me rendre à moi-même ces visites inopportunes et ennuyeuses. Quant au projet de représenter Hernani ici, je le trouve de moins en moins exécutable au point de vue du respect qu’on doit à tes chefs-d’œuvre. Je regrette que Kesler ne sente pas cela et je crains qu’il ne pousse à la roue [2] pour cette représentation qui ne peut être que déplorable dans les conditions où elle aura lieu [3]. Quant à moi, la seule pensée d’assister à cette parodie piteuse de ce vaillant et sublime Hernani m’horripile jusqu’à la moelle des os et m’humilie dans ce que j’ai de plus fier et de plus orgueilleux : mon admiration pour ton divin génie. J’espère encore que tu pourras empêcher ce sacrilègeb. En attendant, je te souhaite patience et bon courage contre toutes ces tracasseries admiratives et touchantes quoique mal entendues. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 27
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]
a) Paul Souchon et Jean Gaudon commencent ici la transcription.
b) Paul Souchon et Jean Gaudon ne transcrivent pas cette phrase.