3 décembre 1856

4 décembre 1856

Guernesey, 3 décembre 1856, mercredi matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour des yeux, du cœur et de l’âme. Comment vas-tu ce matin ? Moi, je ne vais pas encore, mais je compte sur ma soirée pour me remettre sur pattes. En attendant, je subis l’aplatissement^a de ton absence prolongée et je regarde tomber la pluie contre mes carreaux. Du reste, me voilà hors d’embarras vis-à-vis le jeune Préveraud. Les travaux se trouvant forcément suspendus, je suis moi-même dispensée de l’inviter à dîner naturellement, ce qui me laisse toute latitude avec M^me Florence, chose énorme et à laquelle tu dois prendre certainement le plus poignant intérêt. Voilà à quoi servent les restitus quotidiennes : tu l’as voulu, Georges Toto [1], ne t’en prends donc qu’à toi seul de l’immense embêtement qui te cause mon incommensurable stupidité. D’ailleurs, il est peut-être utile pour la santé de ton esprit de t’ingurgiter tous les jours un peu de ma bêtise par-dessus toutes les friandises de l’intelligence que tu absorbes tous les jours à toutes sauces et sous toutes les formes [illis.] les brioches de Kesler. Ma restitus, quoique moins limpide que l’eau Havelet [2], en a peut-être les propriétés digestives, détersives, laxatives et purgatives. À ce point de vue, elle peut avoir son utilité hygiénique. Je te plains néanmoins d’avaler tant d’eau claire quand tu pourrais te contenter de l’élixir de mon cœur dans un baiser. Quant à moi, je n’ai même pas à rougir de mon crétinisme car il n’est pas de mon fait ni de mon choix. On naît rôtisseur ou Victor Hugo et on devient pâtissier ou Juju selon le sexe, voilà tout. L’amour n’a rien à voir là-dedans et ce n’est pas de sa faute si les restitus le trahissent.