Guernesey, 21 septembre 1856, dimanche après-midi, 3 h.
Je ne sais par quelle tendresse commencer, mon cher petit homme, tant j’en ai à choisir dans cet embarras des richesses de mon cœur, je prends le parti de te parler de tout, excepté mon amour, qui doit te faire un peu l’effet du pâté d’anguille, cette friandise de la satiété et de l’habitude. Sans t’en rien dire ce matin, j’étais très mécontente de la négligence de Suzanne en ce qui regarde tes serviettes de bain. Aussi, dès que tu as été parti, je me suis mise à laver à l’eau bouillante les trois qui restaient ; je les ai fait sécher au soleil ; puis je les ai bien détirées et bien pliées en regrettant de n’avoir pas pris ce parti plus tôt. Pauvre cher adoré, je suis bien confuse, triste et humiliée, quand quelque chose te manque que je peux faire. Mon devoir comme mon bonheur seraient de te servir à genoux. Aussi est-ce un remords et un chagrin pour moi lorsque je manque les occasions d’être ta très humble et très heureuse servante qui te bénis et qui t’adore. C’est aujourd’hui le 1er jour d’automne, mon cher petit bien-aimé, ce qui n’empêche pas les oiseaux de chanter dans les branches et mon âme de te sourire comme au plus beau jour du printemps. Tâche de venir bien vite, mon bon petit homme, et de m’emmener avec toi si tu prends un bain tantôt. En attendant, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Juliette
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 235
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette