Guernesey, 23 juin 1856, lundi soir, 7 h. ½
Cher adoré, ce n’est pas une raison parce que j’ai eu la chance de me promener avec vous une heure tantôt, pour me priver du plaisir de vous baragouiner ma faible restitus ce soir, n’est-ce pas ? Aussi vous voyez que je n’attends pas votre réponse pour m’en donner à cœur joie. Quand je pense que cette stupide Suzanne en retenant ce pauvre vieux Cahaigne a failli m’enlever ma pauvre sortie, j’en ai encore la chair de poule. J’en ai été quitte pour une grande heure d’impatience et d’embêtement mais je ne me plains pas quand je considère que cela pourrait durer encore. Quant à ce soir je doute que tu puissesa venir à temps pour reprendre notre promenade où nous l’avons laissée. Je m’estimerai très heureuse si tu peux me donner quelques minutes entre le tonneau [1] et le loto : quant à aller au concert de Reményib je ne m’en sens pas le courage. Il n’y a pas pour moi de distraction désirable qui vaille le sacrifice de ma dignité. Aussi je resterai chez moi comme toujours. Ça n’est pas amusant mais ça n’est pas humiliant. Et puis en voilà assez là dessus. Parlons d’autre chose. Je t’aime. Je fais tout ce que je peux pour me dissuader d’avoir mal à la tête mais tous mes efforts aboutissent à constater le commencement d’une atroce migraine. C’est devenu une obsession de tous les jours et qui influe sur mon humeur d’une façon peu aimable. Tu dois t’en apercevoir de reste, mon cher petit homme, et cependant je t’aime avec plus d’entrain que jamais et de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16377, f. 180
Transcription de Chantal Brière
a) « puisse ».
b) « Réminy ».