Guernesey, 27 mai 1856, mardi matin, 9 h. ½
Ô mon Victor que tu es bon et que je t’aime ! Tout ce que je te dis en dehors de ce mot : je t’aime n’est pas vrai. Il y a en moi un être souffrant, malingre et jaloux qui parle par ma bouche ; mais tout ce qu’il dit n’est que mensonges et calomnies de ma pauvre âme qui t’aime bien au-dessus de toutes les mauvaises passions de ce monde. Je te remercie d’être revenu tout à l’heure, mon doux adoré, tu m’as comblé de joie et donné un démenti à ce méchant être qui me soufflait toutes sortes de vilaines choses à l’esprit dans ce moment-là même. Sois bénia, mon ineffable bien-aimé, sois heureux dans tout ce que tu aimes, c’est mon vœub le plus ardent. Je te verrai bien peu aujourd’hui mais je te promets de remplir ton absence d’amour, de prière et de bénédiction. En attendant je souhaite que tu n’aies aucunc encombre à la cour [1] et que tu en reviennes SACRÉ propriétaire de par la loi et les livres sterlings. Quant à ce soir, je désire que tu ne te mettes pas trop en évidence, c’est-à-dire à la portée de ce pauvre fou qui s’est cru une fois obligé de te tuer à son cœur défendant [2]. Je sais bien qu’on le croit guéri jusqu’à preuve du contraire, c’est pourquoi je te supplie de ne pas trop te prêter à cette PREUVE. Pense à moi, mon cher petit homme, pardonne-moi et aime-moi. Tâche de venir un peu plus tôt que d’habitude pour que nous ayons le temps de faire une petite promenade à la face de Dieu et du printemps. Je t’adore entends-tu.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16377, f. 157
Transcription de Chantal Brière
a) « bénis ».
b) « vœux ».
c) « aucune ».