28 décembre [1838], vendredi après-midi, 3 h. ¼
Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon petit homme chéri. Ne me gronde ni ne t’effrayea pas, je reste dans mon lit parce que je suis un peu souffrante et comme je n’ai aucun besoin impérieux qui me force à me lever, je reste dans mon lit à me dandiner. Notre position au théâtre de la Renaissance devient de plus en plus alarmante et impossible et je crains bien que l’année 1839 ne nous y trouveb plus, à ce hideux théâtre. Quant à moi si tu le permets, je m’engagerai où je pourrai uniquement pour rentrer au théâtre parce que je ne peux plus attendre plus longtemps pour reparaître. Enfin mon adoré, je voudrais que tu me laissasses prendre un parti dans le cas, ce qui pour moi est inévitable, nous romprions avec ce théâtre mais quoi qu’il arrive je n’entends faire aucune démarche déloyale vis-à-vis des personnes qui dans le désir de t’obliger m’ont prêté leur appui. Ainsi mon bijou, je n’accepte pas la proposition du Joly si elle doit ajourner ou évincerc M. Gérard et je suis prête à jouer le rôle de MM. Royer et Roger [1] si on joue leur pièce et s’ils tiennent à leur première distribution. Voilà qui est bien convenu maintenant, baise-moi, aime-moi, plains-moi car je souffre et j’ai mal à mon avenir. Je t’aime de touted mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16336, f. 280-281
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Gérard Pouchain
a) « effrayes ».
b) « trouvent ».
c) « ajourné ou évincé ».
d) « toutes ».
28 décembre [1838], vendredi soir, 5 h. ¼
Bonne nouvelle, mon chéri, puisque vous venez souper avec moi. QUEL BONHEUR ! Je vous défends d’aller à Ruy Blas sans moi. Tiens, j’ai pas besoin, moi, que tous les CHAMEAUX de l’endroit viennenta muer leurs hideux poils sur votre beau paletot. Ça ne me convient pas du tout. Vous faites doublement bien mon amour de venir souper avec moi puisque nous avons encore de ce fameux poisson qui semble se multiplier sous nos appétits, car il devait à peine servir pour un seul souper et en voici trois qu’il figure honorablement et abondamment sur notre table. Il vient de m’arriver une heureuse histoire et qui tiendrait du prodige si elle n’était pas la plus simple et la plus naturelle du monde. Voici ce que c’est : je n’avais plus que 15 sous dans ma bourse pour envoyer la bonne au marché lorsque je me suis avisée de faire une visite minutieuse dans ma CAISSE et là j’ai trouvé entre plusieurs factures 10 F ?!!!!!!! QUEL BONHEUR !!!! J’en ai donné tout de suiteb la moitié à ma servarde et ce soir nous mangeons une gibelottec de martre française et puis je vous aime et je suis très contente.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16336, f. 282-283
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Gérard Pouchain
a) « vienne ».
b) « toute suite ».
c) « giblotte ».