Paris, 22 février [18]72, jeudi matin 9 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, j’espère que tu as comme moi passé une bonne nuit, ce qui m’a fait trouver la matinée charmante quoiqu’un peu froide. Mais cette température étant des plus favorables à la floraison des recettes de Ruy Blas [1], loin de m’en plaindre je l’accueille avec joie. Avec d’autant plus de joie que ta dépense augmente tous les jours dans des proportions effrayantes. Je ne parle pas pour ces deux derniers jours où nous n’avons été que nous. Mais cette exception économique ne suffit pas pour rétablir l’équilibre de tout un mois de prodigalité hospitalière. Je te demande pardon d’aboyer si souvent, mais inutilement, hélas ! autour de tes gabelles ; Dieu sait que je ne demanderais pas mieux que de prendre des postures plus belles si je n’avais pas souci de ta tranquillité et de ma responsabilité. Sans compter que j’aimerais bien mieux applaudir ton Ruy Blas tous les soirs que de me fatiguer à découper du veau pour tes affamés. Je me permets ce tas de bons conseils, dont tu ne profiteras pas, en ma qualité d’affreuse compagnonne à laquelle tu ne graisses aucune patte [2] et qui t’aime.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 50
Transcription de Guy Rosa
Paris, 22 février [18]72, vendredi soir, 6 h. ¾
Rien qu’un mot, mon cher bien-aimé : Je t’aime. Depuis ce matin je me débats entre les mille petits soins du ménage qu’il m’a fallu faire, tant bien que mal, à la place d’Henriette malade et couchée. J’espère que cela sera passé demain, cependant je crains que sa santé déjà si délabrée à Guernesey ne s’en aille tout à fait la nostalgie aidant. Au reste elle compte s’en aller à la fin de mars et n’est restée jusqu’à présent qu’à cause de l’espoir que nous lui avions donné d’y aller nous-mêmes.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 51
Transcription de Guy Rosa