Paris, 26 décembre [18]73, vendredi matin, 11 h. ¼
Cher adoré, tout sera à souhait dans ta vie et dans la mienne aujourd’hui si ton cher Petit Victor [1] a passé, comme je l’espère, une bonne bonne nuit. Je guette avec une inquiète impatience le retour de Mariette pour savoir comment se trouve le cher malade.
Mon pauvre bien-aimé, j’ai le désespoir dans l’âme. Je viens de voir Mariette qui me dit que ton pauvre enfant est en pleine crise dans ce moment. Je ne sais comment t’annoncer cela. Je crois que je n’en auraia jamais la force. On est allé chercher le Docteur Sée et Mariette vient de retourner savoir ce qu’il pense de cette nouvelle crise. Mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de nous. Je retiens ma respiration et mes larmes tant j’ai peur de dénoncer le malheur qui te menace. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, comment parer ce coup s’il t’est destiné ? Que faire, que dire ? J’ai la tête perdue. Dois-je tout dire ? Est-ce une faute de te cacher le malheur imminent qui va briser ton cœur encore une fois ? Je ne sais, mais le courage me manque pour parler comme pour me taire ; je suis au désespoir et je n’ose pas crier. Je souffre ; je t’adore, aie pitié de moi comme j’ai pitié de toi. Aimons-nous devant cette cruelle épreuve comme devant le paradis entr’ouvert.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 358
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]
a) « n’aurai ».