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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 janvier [1847], jeudi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? À quelle heure t’es-tu couché cette nuit ? Que feras-tu aujourd’hui en outre de la séance à l’Académie ? Quand te verrai-je et combien de temps te verrai-je ? Il est probable que tu n’auras pas même le temps de répondre à aucune de mes questions et que je n’aurai pas meilleure chance aujourd’hui qu’hier, qu’avant-hier et les jours suivants.
J’ai mauvaise grâce à me plaindre puisque ce n’est pas ta faute et que tu ne peux rien à cet état de choses qui m’afflige et me désespère parce qu’il me prive du bonheur de te voir, mais je ne peux pas m’en empêcher. Plus je vais et moins j’ai de courage. Je donnerais ma vie pour deux sous. Du reste, c’est parfaitement bête et parfaitement inutile tout ce que je te dis là [1] et je ferais beaucoup mieux de me taire, quel que soit d’ailleurs ce que je souffre.
Par quoi commenceras-tu tes courses aujourd’hui, mon bien-aimé ? Sera-ce par une répétition ? Une commission ? ou une séance d’Institut ou de la Chambre ? J’espère, quel que soit le point où tu te dirigeras en sortant de chez toi, j’espère que tu viendras me dire un petit bonjour et baigner tes pauvres yeux adorés ? Je vais faire tout de suite ton eau dans ce doux espoir, quitte à me faire beaucoup de chagrin si tu ne viens pas. Tu ne sais pas combien j’ai le cœur disposé à la tristesse et que ce n’est qu’à force d’amour que je parviens à me redonner des forces et du courage pour attendre un meilleur avenir qui ne viendra pourtant jamais.
Mon pauvre bien-aimé, tu dois être las et rebattu de mes doléances. Tu dois me trouver ce que je suis, la plus ennuyeuse et la plus maussade des créatures et pourtant il suffirait d’un peu de bonheur pour faire de moi une joie, un chant, un rayon de gaîté, une fleur d’amour sans épine car tout cela est dans ta présence et vient au souffle de tes baisers.

Juliette

Médiathèque de Fougères, Ms 110
Transcription de Florence Naugrette

Notes

[1« C’est bête comme tout ce que je te dis là » est une réplique de don César au laquais, dans Ruy Blas, acte IV, scène 3.

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